Mirova a rendu publique mardi 11 mars 2025 une prise de position destinée à mobiliser le monde de la finance durable pour soutenir l’industrie de l’armement. Appelant notamment à la création d’outils comme les “Defence Bonds” à l’image de ce qui a été fait avec les green bonds. Dans un entretien accordé à AEF info, Hervé Guez, directeur des gestions listées chez Mirova, revient sur ces propositions et appelle les États européens à avancer sur deux sujets qui, à ce stade, tiennent cet investisseur responsable “à l’écart de cette industrie”.
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Hervé Guez (Mirova) appelle à “renouer avec une logique d’investissement cohérente avec les grands défis de notre temps” Mirova
AEF info : Amélie de Montchalin, ministre déléguée au budget, a estimé le 9 mars sur LCI qu’un des “sujets sur la table” s’agissant du financement de la défense était celui de l’arrêt de l’exclusion de ce secteur par “un certain nombre d’acteurs financiers” (lire sur AEF info). Êtes-vous d’accord ?
Hervé Guez : Aujourd’hui, les grands groupes cotés du secteur de l’armement n’ont pas de problème de financement. Ils n’ont pas besoin d’augmenter leur capital, ils distribuent des dividendes, ils sont peu endettés, leur notation de crédit est bonne. Il serait faux de laisser entendre que l’ESG empêche leur financement.
Mais il est vrai que la situation évolue du fait de l’effort de réarmement envisagé sans équivalent depuis la chute du mur de Berlin, y compris pour les grands groupes qui pourraient avoir besoin d’investir fortement dans de nouvelles capacités de production. C’est pour cette raison que nous avons publié notre tribune : nous appelons à nous organiser face à ce nouveau défi, en proposant notamment de créer des “Defence Bonds”, dont les financements seraient fléchés vers des projets à fort enjeu stratégique et technologique pour la souveraineté européenne. Nous demandons également un cadre d’investissement clair et transparent qui soutiendrait des solutions ciblant la défense et le maintien de la paix.
AEF info : Mirova est un acteur engagé dans la finance responsable. Quelle était sa position jusqu’à présent ?
Hervé Guez : L’exclusion de l’armement est étroitement liée avec les débuts de la finance durable, post-première guerre mondiale. Elle a été faite sur des questions purement éthiques au même titre que l’exclusion du tabac, l’alcool… Depuis la finance durable a évolué : elle ne se contente plus seulement d’exclure des secteurs, elle cherche une analyse plus aboutie des problématiques. Chez Mirova, nous avons toujours eu une position singulière vis-à-vis de la défense car nous n’avons pas de position d’exclusion a priori de ce secteur. Seulement, il y a deux sujets qui ne sont pas traités et qui nous tiennent à l’écart de cette industrie : les armes controversées et la question de la dissémination des armes de tout type.
AEF info : Pourquoi ces sujets posent-ils problème ?
Hervé Guez : On peut légitimement s’attendre à ce que les fonds ESG refusent de financer des armes qu’un régime instable pourrait retourner contre son propre peuple. Aujourd’hui, on est dans un schéma de pensée où l’on veut fournir des armes à l’Ukraine. Mais si la Russie avait massivement fait appel à des armes européennes pour sa politique d’agression, cela aurait posé problème. Or il n’y a pas de consensus sur la destination des armes financées. Un État peut autoriser une entreprise à fabriquer des armes à destination d’un pays controversé, un autre peut lui refuser.
S’agissant des armes controversées, on observe que certains pays proches géographiquement de la Russie, comme la Lituanie, la Pologne et la Finlande, se retirent ou envisagent de se retirer de conventions internationales interdisant les armes antipersonnel ou les armes à sous-munition. Là encore, cela posera problème si l’on veut lancer une obligation européenne, et que l’on demande à un épargnant français de financer des armes interdites par la France.
Notre rôle n’est pas de définir quels sont les pays et les armes finançables, mais les règles actuelles ne sont pas claires. Les États européens doivent se mettre d’accord sur ces points.
AEF : Voyez-vous une autre problématique à traiter ?
Hervé Guez : Il y a un autre sujet relatif au non coté et qui ne concerne pas que la défense, mais aussi l’intelligence artificielle, les technologies… Ces entreprises ont peu accès aux capitaux en raison d’une structure de l’épargne conçue pour “protéger” les épargnants. On ne peut pas garder une culture de l’épargne zéro risque-100 % liquide. La situation actuelle serait l’occasion d’avoir une discussion plus large et se poser la question : comment oriente-t-on l’épargne vers ce qui est utile ? C’est un travail de fond qu’il va falloir entreprendre. Les acteurs durables ont toute leur place dans ce débat car leur mot d’ordre est justement celui-là : renouer avec une logique d’investissement cohérente avec les grands défis de notre temps.
AEF info : Craignez-vous que les besoins en défense éclipsent les besoins de financement de la transition écologique ?
Hervé Guez : Il ne faut pas opposer les deux car notre souveraineté passera aussi par notre souveraineté énergétique et donc par le financement d’énergies bas carbone. En outre, la discussion que nous appelons de nos vœux sur l’épargne peut aussi permettre de progresser sur le financement de la transition écologique.
Le régulateur britannique prend position
“Rien dans nos règles, y compris celles relatives au développement durable, n’empêche l’investissement ou le financement des entreprises de défense”, a souligné le 11 mars la Financial Conduct Authority, l’instance de régulation du secteur financier britannique, dans une “position sur les réglementations en matière de développement durable et la défense britannique”.