Des médecins ont parlé de « bombe sanitaire ». Les Français affichent des concentrations élevées de cadmium, un métal lourd toxique présent dans l’alimentation. Devrions-nous nous aussi craindre le cadmium ?
Je me souviens du sigle du cadmium sur le tableau périodique, sans plus. Qu’est-ce que c’est ?
Le cadmium (Cd) est un métal lourd présent naturellement dans l’environnement, mais également utilisé par les industries, notamment dans la production de piles. Les fonderies, dont la fonderie Horne de Rouyn-Noranda, rejettent du cadmium dans l’air. On le retrouve aussi dans le tabac et les engrais phosphatés utilisés en agriculture. Ce sont ces engrais qui sont suspectés d’être la principale source de cette contamination en France.
Pourquoi en parler maintenant ?
Cela fait des années que l’Association santé environnement France (ASEF) sonne l’alarme sur le cadmium. Motivée par la publication d’études récentes sur les risques associés, la Confédération des URPS médecins libéraux, un regroupement de syndicats de médecins, a adressé une lettre au gouvernement le 2 juin dernier. Devant la pression médiatique, le ministre chargé de la Santé et de l’Accès aux soins a annoncé le remboursement des tests de dépistage pour tous les Français. Un arrêté visant à resserrer la norme sur le taux de cadmium permis dans les engrais est aussi à l’ordre du jour.
De quoi les médecins français s’inquiètent-ils ?
L’exposition moyenne au cadmium, mesurée dans l’urine des adultes français, a presque doublé en 10 ans, passant de 0,29 µg/g de créatinine en 2006-2007 à 0,57 µg/g en 2014-20161. Le seuil d’alerte fixé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail est de 0,50 µg/g de créatinine à ne pas dépasser à 60 ans. Le niveau d’imprégnation des enfants de 6 à 10 ans inquiète aussi les médecins (0,31 µg/g de créatinine), soit quatre fois plus que chez les jeunes Allemands.
Quels sont les risques du cadmium sur la santé ?
Les effets les plus documentés concernent les reins et les os, le cadmium pouvant affecter la capacité de filtration des reins et fragiliser les os. Il accroît également le risque de maladies cardiovasculaires « à partir de zéro, selon des études », note le Dr Pierre Souvet, cardiologue et cofondateur de l’ASEF. « Cela signifie que dès que le taux de cadmium s’élève, le risque cardiovasculaire augmente. »
Le Centre international de recherche sur le cancer a classé le cadmium comme substance cancérogène pour l’humain. En France, c’est notamment le cancer du pancréas qui suscite l’inquiétude, le pays se classant quatrième au monde pour l’incidence de ce cancer. « On ne dit pas que c’est la seule cause, mais ça pourrait bien être un facteur de risque », déclare le Dr Souvet.
Pourquoi la France est-elle particulièrement touchée ?
Les roches utilisées en France dans les engrais phosphatés proviennent du Maroc et contiennent un taux élevé de cadmium. Les médecins libéraux demandent que le seuil maximal permis soit abaissé. Il faudra toutefois de nombreuses années avant que les résultats se répercutent sur la santé de la population.
Entre-temps, le Dr Pierre Souvet appelle les Français à modifier leur alimentation en réduisant leur consommation d’aliments comme les céréales, le pain, les pommes de terre, les biscuits, les coquillages et les abats. En 2022, la présence de cadmium dans le chocolat noir avait également soulevé des inquiétudes aux États-Unis.
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Il recommande aussi l’alimentation biologique, au regard des résultats d’une métanalyse qui a montré que le bio contiendrait 48 % moins de cadmium.
Devrait-on s’inquiéter aussi ?
« Pour l’instant non », répond le Dr Stéphane Perron, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). « On observe que le cadmium descend dans la population canadienne en général, et c’est une bonne nouvelle. »
L’Enquête canadienne sur les mesures de la santé montre que la concentration de cadmium chez les 3-79 ans est passée de 0,3 µg/g de créatinine en 2009-2011 à 0,20 µg/g en 2018-20192. « Ce ne sont pas des niveaux inquiétants, précise le Dr Perron. Ça vient de l’alimentation. »
Or, « chez les fumeurs, les niveaux de cadmium sont probablement assez élevés pour affecter à la fois les reins et les os [en plus des poumons] », ajoute-t-il. « Pour eux, la solution, c’est d’arrêter de fumer. »
La baisse du tabagisme est d’ailleurs l’une des pistes avancées par l’INSPQ pour expliquer la diminution de la concentration de cadmium chez les Canadiens.
Qu’en est-il des engrais phosphatés ?
Le cadmium dans les engrais phosphatés ne constitue pas un enjeu au Québec, selon Lotfi Khiari, professeur titulaire en gestion des sols et des fertilisants à l’Université Laval. Il précise que les normes encadrant la teneur en cadmium des engrais au Canada « demeurent parmi les plus conservatrices, avec un objectif clair : protéger durablement les sols, les plantes, les animaux et la santé humaine ». Aussi, une « proportion importante » de l’enrichissement des sols en phosphore se fait désormais à l’aide de fumier, lequel « contient généralement moins de métaux lourds », note l’agronome Mathieu Leduc, chargé de cours à l’Université McGill. Il ajoute que le bilan de phosphore annuel obligatoire pour les grandes exploitations empêche la surutilisation de ces engrais.
Y a-t-il d’autres contaminants dont on devrait s’inquiéter ?
« Généralement, la plupart des contaminants que j’ai suivis sont à la baisse, y compris certains contaminants comme les PFAS », constate le Dr Stéphane Perron. Tout le monde s’inquiète par rapport à ça, mais quand on suit les données des enquêtes canadiennes, on voit que c’est fortement à la baisse. »
1. Étude nationale nutrition santé (ENNS, 2006-2007), étude ESTEBAN (2014-2016)
2. Sixième rapport sur la biosurveillance humaine des substances chimiques de l’environnement au Canada, Santé Canada, 2021