En parallèle, plusieurs initiatives portées par le monde de la recherche, parfois en partenariat avec des entreprises, ont été lancées pour calculer l’impact de l’IA sur toute la chaîne de valeur. Parmi elles, l’Observatoire mondial créé en février par l’École normale supérieure (ENS), en partenariat avec Capgemini. Il vise notamment à soutenir les travaux menés depuis plusieurs années par les chercheuses Aurélie Bugeau et Anne-Laure Ligozat. Professeure en informatique à l’École nationale supérieure d’informatique pour l’industrie et l’entreprise, cette dernière a planché sur la mesure de l’impact de l’entraînement du modèle open source Bloom. Non sans affronter de réels défis. «La fabrication des équipements représente 20 % de l’empreinte carbone de Bloom. Or, les fabricants, au premier lieu desquels figure Nvidia, ne communiquent pas sur le sujet», pointe la chercheuse, qui s’appuie sur les travaux de l’Arcep, le régulateur du marché des télécoms en France, et de l’Ademe sur l’analyse des cycles de vie des machines. Plus largement, estime Anne-Laure Ligozat, « la difficulté du numérique est qu’il est très distribué, puisqu’il fait appel à des serveurs situés partout dans le monde et partagés ».
L’observatoire veut également mettre en valeur les recherches menées par des experts internationaux, comme celles de Sasha Luccioni, qui occupe une chaire à l’ENS et travaille chez Hugging Face. Avec Salesforce, Meta, Cohere et l’université Carnegie Mellon, la licorne franco-américaine a développé l’AI energy score. Cet outil, qui s’adresse prioritairement aux entreprises, entend leur permettre de comparer la consommation énergétique de différents modèles d’intelligence artificielle lors de leur usage, afin d’identifier les plus efficients «tâche par tâche», précise Boris Gamazaychikov, le responsable IA durable de Salesforce.
Des situations très diverses
Porté par deux chercheurs de l’université de Cambridge, Loïc Lannelongue et Michael Inouye, Green algorithms est un outil en ligne d’évaluation du bilan carbone d’un calcul. Un projet en source ouverte lancé en 2020 et dont l’objectif est de permettre aux scientifiques «de suivre facilement leur consommation d’énergie». Et, le cas échéant, de décider de mettre en balance la nécessité d’effectuer un test et son empreinte énergétique. L’utilisateur du calculateur peut indiquer les infrastructures sur lesquelles il travaille, dans quel pays elles sont hébergées, si son modèle utilise des CPU (unités centrales de traitement, utilisées pour la simulation) ou des GPU (unités de carte graphique, destinées davantage aux cryptomonnaies et à l’IA), combien et pendant combien de temps. Prochaine étape pour cet outil, qui compte quelque 200 utilisateurs par semaine : inclure la consommation d’eau et l’impact environnemental lié à la fabrication des équipements.
Alumet est une autre initiative développée en priorité pour les chercheurs, depuis un an et demi, par l’Institut interdisciplinaire pour l’intelligence artificielle de Grenoble. « Il s’agit d’un ensemble de modules permettant de mesurer la consommation énergétique d’un code donné », explique l’un de ses créateurs, Denis Trystram. Cet outil suit les principes de convivialité théorisés en 1973 par le philosophe Ivan Illitch, que le chercheur au sein de l’équipe Inria DataMove résume ainsi : «Transparent, résilient, modulable et simple à utiliser».
Denis Trystram déplore une difficulté majeure due à «la grande diversité de situations à prendre en compte en lien avec l’hétérogénéité des systèmes d’exploitation. Les informations disponibles varient selon le modèle de serveur, le système d’exploitation… Or un même service peut utiliser plusieurs machines en même temps. Dans certains cas, comme dans le cloud, il est impossible d’obtenir une mesure de l’énergie consommée par les serveurs et l’on doit se contenter d’estimations». En revanche, Alumet ne nécessite pas de compétence particulière de l’utilisateur. «C’est le logiciel, qui, tout en tournant, effectue en temps réel l’évaluation», précise le chercheur. Déjà déployé sur les supercalculateurs d’Eviden (Atos) depuis 2024, il doit à terme équiper toutes les suites logicielles du groupe informatique français.
l’IA verte invitéE à plus de cohérence
Des applications d’IA qui prétendent lutter contre l’impact du changement climatique, mais sont incapables d’évaluer la pollution générée par l’entraînement et le fonctionnement de leur modèle… Face à cette incohérence, le ministère français de la Transition écologique exige désormais l’utilisation de l’outil Green algorithms pour les appels à projets du plan France 2030. Les candidats doivent dorénavant inclure des estimations de l’empreinte carbone et de la consommation d’énergie des différentes phases de développement de la solution qu’ils proposent. Cet outil a été testé dans le cadre d’un premier appel à propositions intitulé « Démonstrateurs d’IA frugale pour le développement durable des communautés locales ». L’essai s’étant avéré concluant, selon le ministère, il a été décidé de l’inclure systématiquement dans la liste des critères d’éligibilité des futurs appels à projets sur l’IA et le changement climatique de France 2030.
Vous lisez un article de L’Usine Nouvelle 3741 – Avril 2025
Lire le sommaire