Harvey, Irma, Maria : il y a tout juste un an, ces ouragans s’abattaient sur les États-Unis et les Caraïbes, causant 93 Md\$ de pertes assurées. D’aucuns redoutaient alors que les cat’ bonds, très prisés des investisseurs en raison de leurs rendements élevés, ne boivent la tasse. D’après le groupe de courtage et de conseil Willis Towers Watson, 630 M\$ ont été perdus en nominal de cat’ bonds au quatrième trimestre 2017, du fait des ouragans, des séismes au Mexique et des feux de forêt. Une goutte d’eau sur un marché de 25 Md\$. « Les ouragans Harvey et Maria ont entraîné des pertes assurées importantes sur des zones et des périls (inondations) qui n’étaient pas couverts par les cat’ bonds. Seules les tranches plus risquées en Floride, affectées par le passage d’Irma, et quelques obligations aggregate (NDLR : cumul de sinistres sur une période annuelle) ont été touchées par ces événements », explique Jean-Louis Monnier, coresponsable de Swiss Re Capital Markets.
Loin de se démentir, l’appétit pour les cat’ bonds s’est, au contraire, renforcé. « L’environnement financier reste favorable à la recherche de diversification pour les investisseurs. Dans ce cadre, les cat’ bonds offrent un rendement attractif et présentent l’avantage d’être décorrélés des actifs financiers et des marchés de crédit », ajoute Jean-Louis Monnier. Après une année record, les émissions de cat’ bonds atteignant 12,56 Md\$ en 2017, l’année 2018 semble tout aussi prometteuse. Selon Artemis, 10 Md\$ de cat’ bonds avaient déjà été émis au mois de juillet. Si des États y ont également recours, les premiers émetteurs sont les assureurs et réassureurs, qui transfèrent ainsi une partie de leurs risques.
Le marché est aujourd’hui concentré sur les risques d’ouragans en Floride et de séismes en Californie. « Ce sont des risques pour lesquels le marché de la réassurance est le plus exposé et qui sont sujets à la charge en capital la plus élevée, donc il y a un grand intérêt à aller chercher de la capacité alternative », relève Jean-Louis Monnier. D’autant que le cat’ bond reste un instrument de couverture bon marché de l’autre côté de l’Atlantique. « Aux États-Unis, les prix restent bas et plus attractifs sur le marché des cat’ bonds que sur celui de la réassurance traditionnelle, sur un grand nombre de tranches des programmes cat’ locaux », précise Quentin Perrot, vice-président à Willis Towers Watson Securities.
Les cat’ bonds, mode d’emploi
- Les cat’ bonds – obligations catastrophes en français – ont vu le jour aux États-Unis, après le passage de l’ouragan Andrew en 1992. Ce dernier avait provoqué 26,5 Md$ de dégâts dont près de 20 Md$ de pertes assurées. Face à l’ampleur du sinistre, les réassureurs ont cherché à réduire leur risque, en en transférant une partie sur les marchés.
- Ces obligations à haut rendement, supérieur aux monétaires, voient leur remboursement conditionné à l’absence d’un ou plusieurs sinistres déterminés à la souscription, sur une période donnée, généralement de 3 à 5 ans. Ce sont les investisseurs ayant souscrit le cat’ bond qui supportent la perte en cas de sinistre.
- Ces instruments financiers relèvent des Insurance Linked Securities (ILS) qui constituent une forme de réassurance alternative.
- L’appétit des investisseurs pour les cat’ bonds n’a cessé de croître, notamment de la part des fonds de pension américains qui souhaitent diversifier leur portefeuille. Totalement décorrélés des actifs financiers et des marchés, ils constituent, en effet, un placement alternatif avec une perspective de rendement positive.
Plus chers en Europe
En Europe, en revanche, le redressement tarifaire ne s’est pas produit sur le marché de la réassurance traditionnelle. « Dans les conditions de marché actuelles, le prix des cat’ bonds est supérieur au prix de la réassurance traditionnelle en Europe car le marché est moins liquide. Mais il ne s’agit pas d’une situation structurelle ; le marché et les prix vont s’ajuster lorsque les politiques monétaires vont se normaliser », précise Philippe Trainar, directeur de l’Enass (École nationale d’assurances), directeur de la Fondation Scor pour la Science.
Premier assureur hexagonal à émettre un cat’ bond en 2010, Axa a choisi, au printemps dernier, de ne pas renouveler son obligation « Calypso » couvrant le risque de tempête en Europe. « Le marché de la réassurance traditionnelle s’avère, sur ce risque, plus attractif, explique Guy Van Hecke, directeur général délégué d’Axa Global Re. Malgré les catastrophes naturelles de l’automne dernier, la hausse des prix est en effet restée modérée. Un cat’ bond reste avantageux sur le long terme, pour une durée de 4 à 5 ans, car il permet un rééquilibrage sur la durée du cycle. Pour l’heure, nous constatons que les dynamiques de marché contribuent structurellement à l’absence de hausse significative des prix de la réassurance traditionnelle. »
Le tarif n’est toutefois pas l’unique enjeu. Les cat’ bonds peuvent désormais offrir des niveaux de couverture similaires avec des prix identiques à ceux de la réassurance traditionnelle. Pour les cédantes, l’intérêt est alors d’élargir leur accès aux capacités disponibles. C’est ainsi que le mutualiste Covéa a émis en décembre?2017 son premier cat’ bond. Baptisé « Hexagon Re », il couvre le risque de tempête en France métropolitaine et ses conséquences (vent, pluies et inondations par ruissellement) sur la période de janvier 2018 à janvier 2022, pour un montant cumulé de 90 M€. Pour pouvoir émettre ce cat’ bond dans des conditions tarifaires favorables, Covéa a dû le placer « au bas » de son programme de réassurance, c’est-à-dire sur les sinistres les moins importants.
« Le marché de la réassurance traditionnelle reste très efficient, explique Pierre Michel, directeur de la réassurance de Covéa. Nous avons émis ce cat’ bond dans des conditions de prix égales – et non pas inférieures – à celles de la réassurance traditionnelle. Nous cherchons plutôt à sécuriser dans le long terme notre capacité à accéder à la couverture de réassurance. Il s’agit de compléter la boîte à outils. Désormais, Covéa a le savoir-faire et est identifié par les investisseurs de cat’ bonds. Cela nous permet d’élargir nos capacités et, qui sait ?, demain, en cas de retournement du marché, de faire jouer encore plus fortement la concurrence. »
Longtemps regardés comme une concurrence à la réassurance traditionnelle, ces instruments financiers s’inscrivent plutôt aujourd’hui comme un complément dans les programmes de réassurance. Les réassureurs structurent eux-mêmes les cat’ bonds pour leurs clients, au sein d’entités dédiées. Swiss Re vient ainsi de placer, pour le compte de l’américain Frontline Insurance, le plus gros cat’ bond émis par une compagnie d’assurance en Floride depuis 2014. Ce dernier, d’un montant de 350 M\$, couvre les risques de tempêtes en Alabama, en Floride, en Caroline du Nord et en Caroline du Sud.
Les catastrophes naturelles les plus coûteuses des 12 derniers mois
- Septembre 2017 Les ouragans Harvey, Irma, Maria qui ont frappé la région des États-Unis et des Caraïbes, ont entraîné au moins 93 Md $ de pertes assurées Deux tremblements de terre au Mexique : 2 Md$
- Octobre 2017 Les feux de forêt en Californie : 7,3 Md $
- Janvier 2018 Tempête Friederike Allemagne, Pays-Bas, nord Europe : 2,1 Md$
- Mars 2018 Tempête Nor’easter États-Unis : 1,6 Md$
Gestion des capacités
Recourir aux cat’ bonds peut, par ailleurs, se montrer utile lorsque l’offre est insuffisante sur le marché traditionnel. « Nous conservons notre cat’ bond en vie pour couvrir la pandémie car la réassurance traditionnelle offre, en la matière, très peu de solutions, précise Guy Van Hecke d’Axa Global Re. De même, assureurs, réassureurs et courtiers réfléchissent à développer des cat’ bonds sur le risque cyber. Mais il est difficile à modéliser et, pour les investisseurs, il constitue un placement moins diversifiant que le risque de catastrophe naturelle, qui est totalement décorrélé des valeurs financières. »
Si, pour les assureurs, les cat’ bonds participent à la gestion des capacités, les réassureurs cherchent, eux, à optimiser le coût du capital. Les cat’ bonds leur permettent ainsi d’aller chercher de la rétrocession à moindre coût ou bien de la capacité de protection supplémentaire. « Les cat’ bonds offrent une alternative viable au marché de la rétrocession et nous offrent une protection collatéralisée, détaille Jean-Louis Monnier de Swiss Re Capital Markets. Ils nous permettent aussi de nous assurer que la capacité sera disponible après un gros événement. Après l’ouragan Katrina, Swiss Re avait, par exemple, placé 1 Md\$ d’obligations dont la capacité a ensuite été réallouée à nos clients. »
« Les cat’ bonds font partie intégrante de la stratégie de protection du portefeuille de Scor, en complément de la rétrocession traditionnelle. Cela nous permet d’accéder à un pool de rétrocessionnaires plus important », renchérit Benoît Liot, retrocession senior account manager chez Scor. Le cinquième réassureur mondial a émis 14 cat’ bonds depuis 1999. Le dernier en date, « Atlas Capital UK », lui offre une couverture pluriannuelle de 300 M\$ contre les risques d’ouragans aux États-Unis, de tremblements de terre aux États-Unis et au Canada, et de tempêtes en Europe, survenant du 1er juin 2018 au 31 mai 2022. « Nous avons émis ce cat’ bond en raison de l’évolution de notre portefeuille. C’est une décision que nous avions prise bien avant les ouragans de l’automne dernier. Ces événements ont d’ailleurs été un test grandeur nature pour notre politique de protection du capital », précise Benoît Liot. Des catastrophes naturelles qui ont permis aux cat’ bonds de démontrer toute leur efficacité.