Les émetteurs de cryptoactifs souhaitant opérer sur le Vieux Continent disposent désormais d’un cadre clair pour y déployer leurs activités, tandis que le flou total continue de régner outre-Atlantique.
Depuis le 30 décembre dernier, le règlement Markets in Crypto-Assets Regulation (MiCA) est devenu applicable dans l’ensemble de l’Union européenne. Cette règlementation a pour but d’unifier la régulation européenne autour des cryptos, jusqu’à présent fragmentée entre les différents Etats, ce qui pouvait vite tourner au casse-tête juridique pour les entreprises.
Le règlement établit notamment un processus à suivre pour l’obtention d’une licence afin d’opérer n’importe où dans l’UE, ainsi qu’un guide pour la classification des différents actifs. Clarté et unification : deux éléments qui manquent cruellement à l’écosystème américain, où la loi est d’une part fragmentée entre les différents Etats fédéraux et où la classification juridique des actifs, dont dépendent les régulations qu’ils doivent respecter, suscite encore d’âpres débats.
Aux Etats-Unis, une jurisprudence qui varie selon les Etats
“Aux Etats-Unis, les acteurs des cryptos sont confrontés à un droit qui n’est pas écrit et passent beaucoup plus par la jurisprudence, donc des décisions prises par les tribunaux américains, sachant que certaines cours n’influencent que leur Etat tandis que d’autres ont un impact à l’échelon fédéral. Il y a ainsi un large éventail de régulations très compliquées, alors qu’en Europe, nous commençons enfin à avoir une vision harmonisée, avec des définitions claire de ce qui, parmi les cryptoactifs, constitue une valeur mobilière, un instrument financier ou une matière première”, note Emilien Bernard-Alzias, avocat associé au cabinet Simmons & Simmons, spécialisé dans la réglementation des services financiers.
Avec pour conséquence que les acteurs des cryptos sont souvent contraints d’opérer dans un certain flou juridique, au risque de se prendre un procès. La Californie et l’Etat de New York ont par exemple poursuivi la plateforme Coinbase en justice, considérant que les caractéristiques de son programme de fidélité justifiaient de le classer parmi les instruments financiers (“securities” selon la taxonomie américaine), et donc de se plier à un certain nombre de démarches auxquelles l’entreprise ne s’est pas soumise. A l’inverse, une cour de l’Illinois a décrété en juillet que le bitcoin et l’ether étaient des “commodities” (classification qui désigne les produits de base et marchandises comme l’or, le blé ou le pétrole), soumises à un régime moins strict que les “securities”.
“Securities” ou “commodities” ?
Cette incertitude quant à la classification des cryptoactifs entre “commodities” et “securities” est censée être déterminée par la SEC, qui régule les actifs financiers aux Etats-Unis, et la CFTC, qui régule les denrées. Mais ces deux agences se querellent depuis plusieurs années sur les cryptomonnaies pour déterminer où s’arrêtent les prérogatives de l’une et de l’autre. Sous la présidence de Gary Gensler, nommé par Joe Biden à la tête de l’agence, la SEC s’est notamment mise à batailler pour qu’un grand nombre de projets cryptos soient classés comme des produits financiers.
“Il y a aujourd’hui unconsensus pour considérer le bitcoin comme une “commodity”, ce qui a conduit la SEC a approuvé la création d’un ETF bitcoin. L’ether est désormais aussi considéré par quasiment tout le monde comme une “commodity”. Tout le reste peut cependant être classé comme “security”. C’est certainement l’avis de Gary Gensler, qui considère qu’à partir du moment où il y a une équipe en charge du projet, dont la réussite de celui-ci dépend, on est sur la même logique que si l’on achetait les actions d’une entreprise”, résume Hermine Wong, anciennement à la SEC et désormais conseillère juridique pour les startups du Web3 et des cryptoactifs.
En outre, la politique pour laquelle Gensler a opté est celle d’une “regulation by enforcement” (régulation par la sanction”) : lorsqu’il y a un flou en matière de régulation, la SEC opte pour la confrontation et intente des actions en justice contre les acteurs des cryptos pour les contraindre à se plier à sa vision. L’agence a ainsi ouvert des procès contre de grosses plateformes comme Binance, Kraken et Coinbase, qu’elle a accusées de fraude, d’arnaques et d’autres manquements à la loi. Une politique qui a valu au directeur de l’agence l’hostilité d’une bonne partie du monde des cryptos aux Etats-Unis.
“Parmi les projets crypto actuellement poursuivis par le régulateur, certains sont de véritables arnaques, mais nombre d’entre eux sont simplement poursuivis pour avoir généré ou vendu sur leur plateforme tel ou tel cryptoactif que le régulateur a décidé de classer comme “security”. Cela entraîne une grosse aversion au risque dans l’industrie, nombre d’acteurs craignant d’expérimenter de peur de se faire poursuivre en justice par les autorités”, note Hermine Wong.
C’est dans ce contexte que les acteurs américains du monde des cryptos demandent de longue date une plus grande clarification, comme celle apportée par MiCA, afin de savoir quelles règles ils doivent respecter. Tout en souhaitant au maximum échapper au statut de “securities”, plus contraignant.
Trump va-t-il engendrer un MiCA américain ?
Le retour de Trump aux manettes pourrait-il conduire à cette évolution ? Le candidat républicain a mené une campagne très pro-cryptos, et promis la mise en place de régulations favorables à l’industrie, sans toutefois donner pour l’heure beaucoup de détails. La composition du nouveau cabinet donne néanmoins des signes encourageants à l’industrie.
Outre la nomination de David Sacks, un investisseur de la Silicon Valley très pro-cryptos, Trump a choisi Paul Atkins pour remplacer Gary Gensler à la tête de la SEC. Ce vétéran de l’industrie financière est connu pour ses positions favorables aux cryptomonnaies, et sa nomination a été accueillie avec joie par l’industrie. Adepte d’une vision pro-business, il est probable qu’il mette fin à la politique de régulation par la sanction adaptée sous Gensler et dote l’industrie de régulations à la fois claires et peu contraignantes.
“La logique voudrait qu’ils donnent enfin aux cryptoactifs une qualification légale, claire et harmonisée”, estime Emilien Bernard-Alzias. En attendant, l’entrée en application de MiCA peut constituer un atout pour les acteurs européens.
“Obtenir un agrément MiCA permet aux acteurs des cryptos de montrer aux investisseurs que leur projet est solide, et aux clients qu’il ne s’agit pas d’une arnaque”, affirme l’avocat, pour qui “le marché européen reste toutefois moins profond que celui des Etats-Unis, avec beaucoup moins de milliards investis.”