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Le déploiement massif des énergies renouvelables s’accompagne de débats concernant la pertinence de cette stratégie. En cause : la complexité de pilotage de ces productions intermittentes, et donc fluctuantes. C’est là que le stockage entre en jeu en apportant une solution de stabilisation, et même une régulation du réseau. Il permet d’injecter l’électricité issue de production renouvelable dans le réseau lorsque le besoin est réel. Outre les mécanismes hydroélectriques, c’est le marché des batteries stationnaires qui explose aujourd’hui en France.
C’est une fracture qui continue d’animer les débats en France : pour ou contre les énergies renouvelables. C’est presque un paradoxe car d’un côté, le secteur pèse 113 milliards d’euros selon l’Ademe (chiffres 2022) ; la Commission européenne ambitionne de dépasser les 42 % d’énergie renouvelable dans le mix énergétique européen à la fin de la décennie, et la production renouvelable (hydraulique, éolien, photovoltaïque et biomasse) explose en France, atteignant les 150 TWh en 2024 selon RTE, soit 27,6 % de la production totale d’électricité.
D’un autre côté, cette progression du renouvelable semble allumer un contre-feu, alimenté récemment par le black-out qui a touché la péninsule ibérique fin avril. Bien que les responsabilités n’aient pas encore été clairement établies, le solaire et l’éolien, très développées dans cette région, ont été rapidement pointés du doigt. À la même période, le désormais ancien patron d’EDF, Luc Rémont, alertait les sénateurs du danger représenté par “l’écart croissant entre l’offre et la demande” d’électricité. Une inquiétude confirmée par les chiffres 2024 de RTE : 449,2 TWh d’électricité consommés contre 539 TWh produits. Cette surproduction a conduit la France à vendre son électricité sur le marché de gros à prix négatif durant 359 heures en 2024. De quoi apporter de l’eau au moulin des opposants.
Ce qui pourrait réconcilier les “pro” et les “anti” ? le stockage de cette électricité produite en sur-abondance. “La question du stockage va régler les problèmes de prix négatifs, les questions de black-out, ou les débats sur le développement des énergies renouvelables”, avance Michaël Salomon, président du cabinet de conseil Clean Horizon et expert du stockage.
Le stockage contre l’intermittence
Pour comprendre l’intérêt du stockage, il faut revenir sur le fonctionnement des énergies solaire ou éolienne et leurs inconvénients intrinsèques. “On a besoin de stocker l’électricité des renouvelables car elle est rarement produite en masse au moment où on en a le plus besoin”, explique Didier Dalmazzone, professeur en chimie et procédés à l’ENSTA, une des composantes de l’Institut polytechnique de Paris. “Et inversement, quand on en a beaucoup besoin, elle n’est pas forcément disponible”, complète celui qui est responsable de la chaire consacrée aux énergies en transition.
“Aujourd’hui, lorsqu’on déploie un système de stockage en France, c’est pour réguler le réseau électrique”
Par essence, la production d’électricité offerte par les énergies renouvelables, dépendantes d’éléments naturels, est intermittente. À l’inverse du nucléaire, cette production est donc moins stable et moins pilotable. “L’utilité principale de batteries est de lisser la production solaire”, selon Anass Boudhar, directeur de l’activité stockage chez Akuo, société qui développe des projets photovoltaïques, de l’éolien et désormais du stockage. Le groupe installe des gros parcs de conteneurs remplis de batteries qui attendent de recevoir l’électricité issue de production renouvelable. “Nous chargeons nos batteries entre 12 h et 15 h afin de restituer cette énergie aux heures de pointe, entre 18 h et 22 h, au moment où la demande est beaucoup plus élevée” décrit-il. Le stockage, évitant le recours aux énergies fossiles, permet dès lors de décarboner le mix énergétique.
Les acteurs du stockage font également valoir leur importance pour protéger le réseau électrique. L’enjeu de régulation est en effet important afin de ne pas exposer directement le réseau aux fluctuations de production. “Aujourd’hui, lorsqu’on déploie un système de stockage en France, c’est pour réguler le réseau électrique, l’intégrer aux différentes réserves de stockage d’énergie et qu’il aide à tenir ce fameux 50 Hz qui est la fréquence du réseau”, expose Christopher Franquet, fondateur et PDG d’Entech, qui réalise la moitié de son activité sur le stockage.
Des STEP hydroélectriques
Le stockage repose donc sur deux mots-clés : régulation et décalage. Il faut néanmoins rappeler que l’électricité ne se stocke pas vraiment, elle se transforme mécaniquement ou chimiquement. Aujourd’hui, les 5,2 GW de stockage par STEP (Station de transfert d’énergie par pompage), construites dans les années 1970, constituent encore la plus grande réserve du territoire. Une STEP est une centrale hydroélectrique réversible comprenant un réservoir supérieur et un réservoir inférieur. Quand il y a trop d’électricité sur le réseau (par exemple la nuit ou quand la production de renouvelables est importante), la STEP utilise cet excédent pour pomper l’eau du réservoir bas vers le réservoir haut. Quand la demande d’électricité est forte, l’eau du réservoir supérieur est relâchée et retombe vers le bas en passant par des turbines, qui convertissent l’énergie mécanique de l’eau en électricité, injectée dans le réseau.
Ce système est assez durable si on exclut les problèmes d’évaporation avec le changement climatique. Il présente également un rendement très important, de l’ordre 80 %. Enfin, “les STEP sont un système avec un temps de réponse très rapide et c’est important quand on veut faire de la régulation sur les réseaux”, explique Didier Dalmazzone. La principale limite est structurelle puisque ces installations sont adaptées au milieu montagneux et les possibilités de développement sont aujourd’hui réduites.
Batteries lithium-ion à grande échelle
Si les STEP existantes continuent donc d’être utilisées, les professionnels du secteur ne jurent aujourd’hui que par la batterie. “Depuis la crise du Covid, il y a eu un véritable tournant sur les questions de stockage”, note Michaël Salomon. La montée en puissance du renouvelable, le déploiement massif des véhicules électriques et l’explosion des prix de l’énergie en lien avec la guerre en Ukraine et les questions de souveraineté ont fait du stockage un enjeu stratégique. “Il y a quinze ans, c’étaient les directions de R&D qui se posaient des questions techniques. Aujourd’hui ce sont des fonds d’infrastructures qui déploient des investissements en centaines de millions d’euros, voire beaucoup plus”, développe le spécialiste du secteur. Une observation que confirme Anass Boudhar de Akuo : “Il y a dix ans, les plus gros projets se chiffraient à quelques KWh mais aujourd’hui, on parle d’installation à plusieurs centaines de MWh voire de GWh”.
“Il y a 10 ans, les plus gros projets se chiffraient à quelques KWh mais aujourd’hui, on parle d’installation à plusieurs centaines de MWh voire de GWh”
Un développement porté par les progrès technologiques en matière de batterie, accompagné d’une baisse significative des prix. On parle aujourd’hui de BESS, pour Battery Energy Storage Systems, et la star du moment est la batterie lithium-ion. “Depuis une quinzaine d’années, les batteries à base de lithium sont devenues fiables, compétitives, avec des bons rendements, une meilleure cyclabilité et elles sont surtout devenues beaucoup moins chères”, résume Christopher Franquet. Ces batteries présentent également une bonne réactivité pour réguler le réseau électrique en temps réel.
Du fait de cette dynamique, des projets de stockage sortent de terre de plus en plus gros. La société Tag Energy va créer une plateforme de 140 conteneurs dans la Marne pour une puissance de 240 MW et une mise en service à la fin de l’année. Le groupe coréen Q Energy travaille sur un projet de 35 MW à Saint-Avold en Moselle, quand Harmony Energy s’est allié à Tesla pour déployer 100 MW de batterie près de Nantes. Le leader espagnol Iberdrola veut investir 1,5 milliard d’euros en stockage d’ici 2026 en France. Entech va construire la première centrale photovoltaïque avec système de stockage en Casamance au Sénégal et porte un projet de 50 MW repartis sur plusieurs sites dans l’Hexagone, tandis que Akuo installe des batteries en Nouvelle-Calédonie.
Au service de la régulation du réseau
Outre le stockage lui-même, ces entreprises construisent leur modèle économique en misant sur les services. “Nous proposons des prévisions de production la veille pour le lendemain, nous avons développé des logiciels qui permettent de réguler ce réseau de façon automatique et de suivre cette fameuse fréquence de 50 Hz. En échange de ce service, les gestionnaires de réseau nous rémunèrent pour réguler le réseau”, liste le pdg d’Entech. “Nous travaillons avec l’EMS, l’Energy Management System, qui est le cerveau qui va piloter ces batteries en fonction des contraintes et des besoins”, abonde le responsable stockage d’Akuo. “Ensuite, nous répondons aux signaux du marché”, poursuit-il. “Sur le long terme, ce qui va rapporter dans le stockage sera le fait de pouvoir injecter de l’énergie quand le réseau en aura besoin”, confirme Michaël Salomon.
L’entretien des batteries fait également partie de l’équation. “Lorsque nos clients contractualisent avec nous, ils nous demandent une durée de vie de dix, douze voire quinze ans sur les systèmes de stockage. nous devons donc garantir une fiabilité exceptionnelle durant cette durée”, explique Christopher Franquet, ce qui exige donc un savoir-faire en matière de pilotage. “Les techniques se standardisent de plus en plus, mais l’expertise reste essentielle. Car lorsqu’on cherche à gagner quelques dixièmes de rendement en plus sur l’installation, c’est l’ensemble du système qui fait la différence”, assure le patron.
Outre les gestionnaires de réseau, la question de la mobilité électrique constitue un horizon intéressant pour les acteurs du stockage. “Le déploiement massif de bornes de recharge a un impact sur le réseau. Le stockage permet de lisser cet impact”, continue-t-il. Même chose pour les industriels équipés de panneaux photovoltaïques. “Certains de nos clients privés veulent du stockage pour répondre à leurs besoins particuliers de fonctionnement ou pour optimiser leur parc de production”, témoigne le responsable d’Akuo. En plus de l’autoconsommation, un stockage peut en effet permettre aux industriels de faire des économies en lissant les pics de puissances sur lesquels sont souvent basés leurs contrats d’énergie.
Baptiste Madinier
C’est ce qu’on appelle le “Power to Gas” et il alimente autant d’espoirs que de fantasmes. Derrière cet anglicisme se cache surtout l’hydrogène, qui peut être utilisé comme un moyen de stockage. Outre les procédés mécaniques et les procédés électro-chimiques, c’est la troisième grande famille du stockage, à base de molécules de gaz. Il s’agit en fait d’allier eau et électricité pour créer une électrolyse afin de produire l’hydrogène qu’il s’agit alors de stocker. “C’est déjà coûteux”, signale Didier Dalmazzone. Ensuite, il faut encore reconvertir l’hydrogène en électricité lorsqu’on en a besoin. Cette succession de transformations entraîne des pertes énergétiques.
Si cette technologie est mature au niveau des procédés, elle ne l’est pas encore d’un point de vue commercial car son rendement demeure trop peu intéressant pour les industriels. En 2020, l’Ademe chiffrait le rendement de la chaîne hydrogène pour le stockage électrique à 25 % environ. Cinq plus tard, Didier Dalmazzone assure qu’il ne “sera jamais supérieur à 40 %”. Nous sommes bien loin des plus de 80 % de rendements finaux pour les STEP ou les batteries lithium-ion. “Le développement de l’hydrogène est encore très compliqué pour des raisons de prix et de rendement”, approuve Christopher Franquet, fondateur et PDG d’Entech. En 2023, l’État a investi 567 millions d’euros dans la R&D pour l’hydrogène et les piles à combustible.
L’État a alloué 2,7 milliards d’euros à la recherche et au développement (R&D) en 2023 pour le secteur de l’énergie. Si 45 % de ces financements vont dans le nucléaire, 79 millions sont quand même consacrés à la recherche en matière d’électricité et de stockage. Si les batteries lithium-ion représentent aujourd’hui la grande majorité du marché du stockage, des alternatives sont toujours à l’étude. “Nous manquons toujours de moyens pour promouvoir la recherche fondamentale”, regrette Didier Dalmazzone, professeur en chimie et procédés à l’ENSTA. La recherche industrielle se développe de son côté pour trouver des alternatives en matière de stockage.
À commencer par le sodium pour remplacer le lithium. Le groupe Tiamat espère implanter une première usine de production près d’Amiens. Encore à l’étude, le sodium pourrait se démarquer par sa meilleure sécurité, une charge rapide et un coût de matières premières accessibles. Il existe également les batteries redox, qui ressemblent plus à des piles à combustible. “C’est très durable car tant qu’on apporte du réactif, ça fonctionne”, explique Didier Dalmazzone.
Le chercheur s’arrête davantage sur le stockage par air comprimé, une approche de stockage mécanique. “On va comprimer l’air avec l’électricité produite pour ensuite le stocker à haute pression dans un réservoir souterrain comme une cavité saline”, détaille le chercheur. “Cette approche pose quelques petits problèmes d’efficacité car lorsque vous comprimez de l’air, vous avez un échauffement, donc de la chaleur, qui finit par se dissiper et qui est perdue”, prévient-il. À ce jour, seules les batteries au lithium semblent encore allier les conditions pour séduire les industriels : rendements, fiabilité et coût bas.
La production hydraulique a été exceptionnellement élevée avec 74,7 TWh, à 14 % du total.
Source : RTE France