AboMusique extrême
Le metal, cet art délicat d’exploser les oreilles sans casser la voix
Au gré des festivals, les gueulards seront de sortie cet été. Hurler dans un micro est moins simple qu’on ne le croit, moins nocif qu’on ne le pense, et toujours plus paritaire.

Randy, chanteur de Voice Of Ruin, death metal lausannois.
DR
Hurler, gueuler, beugler. Grogner dans les graves ou vitupérer dans les aigus, en borborygmes ou en notes. Avec sa bouche et un micro, égaler l’offensive des guitares électriques saturées et d’une batterie démente. Et conserver à ses attaques vocales leur pleine et entière puissance durant tout un concert, puis remettre ça le lendemain pour peu que l’on soit en tournée ou en studio. Vocaliste de metal n’est pas un métier de tout repos.
«N’importe qui peut brailler dans un micro», hausse des épaules le non-aficionado. C’est absolument vrai, et c’est complètement faux. Le mois dernier, la question de savoir par quel miracle des chanteurs de rock extrême peuvent rugir des années durant sans atomiser leurs cordes vocales ou s’infliger de graves lésions a mobilisé une équipe scientifique de l’Université de l’Utah, aux États-Unis. Huit cobayes tatoués, hurleurs dans des groupes de death metal reconnus (un style aux tempos rapides et aux vocaux gutturaux – growls – «popularisé» dans les années 90 par Sepultura) se sont prêtés au jeu pas trop marrant de pousser des beuglantes avec, dans la gorge, des caméras pharyngées et des aiguilles garnies d’électrodes.
Voix intacte
Résultat: des tissus vocaux absolument intacts! Et un système de chant qui mobilise infiniment moins les cordes vocales que le larynx, utilisant ses éléments de façon totalement singulière par rapport à un chant normal – et même lyrique – afin de créer une gamme de sonorités puissantes et, incidemment, sans danger. L’étude de cette biomécanique à l’origine de la distorsion vocale pourrait apporter de nouvelles perspectives thérapeutiques dans le domaine des troubles de la parole.

Pas complètement metal mais très énervé quand même, The Prodigy lance le 4 juin à Caribana la valse des open airs estivaux.
IMAGO/Capital Pictures
Pour l’heure, elle offre déjà un enseignement inespéré: le chanteur de metal pense à sa santé! Blague à part, l’association du death metal et de la médecine n’allait pas de soi, venant d’un genre musical extrême à tous les points de vue. «Au début du groupe, je poussais ma voix comme un fou simplement pour qu’on l’entende dans le volume pas possible du local de répétition. Je ne pensais pas une seconde aux dommages éventuels.» Chanteur depuis 1987 du groupe suisse Samael au succès international, Vorph fait partie de la «vieille école» où un vocaliste n’avait que les disques des autres pour s’inspirer.
«Je n’ai pas vraiment reçu de technique, j’ai développé la mienne pour enchaîner les concerts. Mais j’ai appris de mes mauvaises expériences. Par exemple qu’il est beaucoup plus dangereux pour sa voix de parler fort en société, dans les loges après un concert avec une bière en main. C’est comme ça que je suis devenu quasi aphone pendant une tournée en Espagne. Le concert suivant a été horrible, j’ai eu honte, ça m’a vacciné.»

Vorph, de Samael.
IMAGO/ZUMA Wire
Technique recherchée
Aujourd’hui, les tutoriels YouTube et la prophylaxie ambiante ont atteint même le rock extrême. Parmi la jeune génération du metal romand, on confesse à la fois une immense curiosité pour le fonctionnement des techniques vocales et une grande attention pour sa santé. À Genève, Lisa tient le micro dans Anachronism, l’une des nombreuses chanteuses que compte la scène metal – là aussi, un reflet de l’évolution sociétale. «Quand je me suis lancée, je me suis passionnée pour les aspects techniques: pendant une année, je discutais avec des vocalistes, j’allais tous les midis à mon local pour apprendre des échauffements gutturaux. J’ai étudié l’anatomie, qu’est-ce qui vibre, qu’est-ce qui fait ce son, etc. J’y suis allé à tâtons, j’avais peur de me faire mal, j’ai connu des amies qui se sont blessées à trop forcer.»
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De fait, «brailler dans un micro», quand on le fait bien, est un sport… olympique! Marina Viotti ne dira pas le contraire, encore auréolée de son Grammy Award pour sa performance avec le groupe Gojira lors de la cérémonie des JO de Paris. «Si l’on connaît les techniques, on ne se blesse pas, exactement comme un sportif, explique la soprano franco-suisse, qui débuta dans un groupe de metal. Quand j’ai essayé d’apprendre le growl, il n’y avait pas de tuto, j’étais presque aphone au bout de 20 minutes, donc je savais que je faisais un truc faux – avec la voix, on sent très vite quand on fait les choses mal. Désormais il y a des centaines de profs en ligne. Aussi, la technologie a évolué, les in-ears (ndlr: sonorisation par oreillettes pour les artistes sur scène) permettent de savoir exactement ce que l’on fait avec sa voix.»
Certains ont cassé la leur. Durant 20 ans, Danek a gueulé dans plusieurs groupes tapageurs de Suisse romande, notamment Unfold, hardcore yverdonnois. Il a dû ranger son micro en 2016. «Pendant une répète, j’ai soudain senti que ma voix faiblissait. Je n’avais pas mal, mais je n’avais plus de grain ni de frappe. Plus je forçais, moins ça venait. Je suis allé voir plusieurs médecins, des profs de chant, on m’a annoncé que les cordes vocales étaient saines. Elles n’ont rien! Ils ne comprennent absolument pas d’où ça peut venir. Tout ce qu’a pu me dire un ORL, c’est qu’il fallait penser à arrêter de fumer.»

Danek, avec Houston Swing Engine en 2007.
Alexperimental
Hurler fort, fumer beaucoup et boire un maximum a pourtant composé la sainte trinité du hard rock. Mais quand on parle clopes et alcool, les chanteurs romands sortent leur crucifix. Si chacun cite l’icône définitive de l’invincibilité rock’n’roll, feu Lemmy Kilmister, chanteur de Motörhead avec ses trois paquets quotidiens de Marlboro Reds rincés au Jack Daniels, c’est avant tout pour en souligner l’exemple à ne pas suivre.
«Lemmy avait de toute façon cette voix cassée naturellement», se marre le producteur genevois Serge Morattel, spécialiste des productions métalliques. «Et il ne chantait pas si fort. En fait, les plus grosses casses que j’ai connues en studio étaient dans un style plus hardcore que metal, là où les chanteurs hurlent sans filtre. Crier ou parler fort, c’est le pire. Un phoniatre m’a dit un jour que ce qu’il avait vu de plus moche dans toute sa carrière, c’étaient les cordes vocales… d’un supporter de foot!»
Stephany, Kassogtha: «J’ai l’image de moi dans ma chambre hurlant dans un coussin»
«J’ai 34 ans, ça fait 15 ans que je pratique ce type de chant. J’ai commencé en autodidacte parce qu’on ne trouvait pas de chanteur avec mon premier groupe d’ado. J’écoutais des mecs (Slipknot, Korn) et des filles, surtout la chanteuse d’Arch Enemy, ça m’a donné l’élan pour essayer. J’ai l’image de moi dans ma chambre hurlant dans un coussin pour ne pas faire peur aux voisins! J’ai souvent perdu ma voix après les premiers concerts, alors j’ai pris des cours à Genève avec une supercoache, qui m’a donné envie de donner des cours moi-même, ce que je fais aujourd’hui. Gueuler dans un micro, tout le monde peut le faire, mais il faut savoir gommer les erreurs de base, notamment celle qui consiste à mettre toute son énergie au niveau de la gorge, de s’épuiser vite et de se faire mal.»
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Randy, Voice Of Ruin: «Je n’avais pas mal à la gorge, mais à la ceinture abdominale»
«Au tout début, je gueulais bêtement. Je me faisais mal à la voix en essayant d’imiter d’autres artistes que j’aimais, des voix très brutes. Je finissais les répètes limite aphone. J’avais lu que les bébés peuvent hurler comme des malades pendant des heures en libérant leur cri à travers leur corps entier, sans utiliser les cordes vocales. Je m’en suis inspiré, je pensais avoir trouvé le truc. Mais en tournant avec le groupe, parfois 50 concerts par an, je n’avais pas mal à la gorge, mais à la ceinture abdominale. C’est pour cette raison que j’ai pris des cours de chant, pour améliorer ma respiration. Je ne suis pas fumeur, j’ai de la chance. L’alcool, j’essaie de doser, mais en concert on se fait vite avoir! (Rires) En tournée, un faux pas et tu le paies les jours suivants.»
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