L’annonce de leur programmation avait attisé les flammes du débat. Muse, trop rock, trop pop, mais pas assez métal pour jouer au Hellfest ? Leur prestation, menée vendredi soir sur la scène principale du festival, a, en tout cas, eu de quoi faire entrer le groupe directement en enfer. Le Point vous raconte son calvaire.
Il est 23 h 05, en ce 20 juin, sur les terres de Clisson. La foule est massée devant cette fameuse « main stage 1 ». Sur la question de l’affluence, il n’y a pas de sujet : quiconque imaginait que les Britanniques seraient boudés par les métalleux purs et durs se sont trompés. « Tout n’est pas bon, mais ça reste des monuments du rock, c’est à voir, je pense », confie peu avant le concert Jean-Michel, Strasbourgeois d’une soixantaine d’années, chemise en denim sans manches floquée de patchs d’Iron Maiden, au milieu des aficionados de Muse, présents en nombre. Le public est varié, passionné et curieux, comme dans n’importe quel festival qui se respecte.
Une introduction bien molle pour donner le ton
Le concert démarre enfin. L’excitation est là, c’est indéniable, tant le trio originaire du Devon est une machine à tubes et que leurs concerts sont réputés pour être extraordinaires. Les lumières s’éteignent, des tableaux se parent de rouge et… pas grand-chose ne se passe.
ARCHIVES Muse : « On s’est beaucoup inspiré des films des eighties » Au lieu d’attaquer par l’un de leurs très innombrables bangers, Matthew Bellamy et ses collègues commencent ce show, ô combien scruté, par un tout nouveau single, tout juste dévoilé : « Unravelling ». C’est culotté, c’est mou et ça n’a rien à faire en intro. Pire que tout : ce n’est pas branché ! Alors que le charismatique et génial leader s’excite sur sa guitare customisée, tout le monde est interloqué : « Mais où est passé le son ? » Une douche froide, que les dizaines de milliers de spectateurs auraient préféré recevoir quelques heures plus tôt en cette journée caniculaire.
Les faux pas, ça arrive, même aux meilleurs. Passé cette déception, le trio enchaîne avec le très entraînant « Stockholm Syndrome », tiré de l’album Absolution. Alors que sur le papier Muse a de quoi réveiller le peuple de Clisson, les problèmes de son continuent de gâcher la fête… C’est bien simple : certains, soucieux de leurs tympans, sont contraints d’enlever leurs protections des oreilles pour pouvoir entendre ce qu’il se passe ! Pire, ce sont surtout les voix des ultra-fans, qui récitent toutes les paroles, qui se font plus entendre que celle de leur idôle. Sans exagérer.
Si même les morceaux les plus fédérateurs ne font pas le taf, il y a de quoi être inquiet sur les productions plus récentes, notamment celles qui sont tirées du dernier album en date du groupe – Will of the People – qui n’avait pas franchement convaincu à sa sortie, en 2022. Des craintes fondées. Le Vjing a beau être à la mesure de cette machine qui remplit les stades, la magie n’opère pas du tout, et les pépins techniques ne font que s’accumuler. Un certain ennui s’installe, mais il y a tant de titres que tout le monde attend qu’il est hors de question de s’échapper.
« Hysteria » sans hystérie
L’arrivée de « Hysteria », l’un des plus grands hits, réveille enfin l’audience… Pour cause : c’est surtout Christopher Wolstenholmse qui tient ici la vedette, le bassiste s’avance au bout du proscenium pour lancer les hostilités. L’espoir renaît le temps de quelques riffs. Et s’éteint tout aussi sec au moment de ne pas entendre les solos pourtant si magistraux de Matt Bellamy sur ce titre.
À LIRE AUSSI Les petits aussi ont eu leur Hellfest ! Tuons le suspense ici : jamais les soucis n’auront réussi à être réglés durant l’heure et demie du concert. Il y a eu du mieux sur la guitare, mais jamais sur la voix principale. Des moments qui avaient tout pour être sublimes, comme lors de l’onirique et énervé « New Born », ou encore le redoutable « Time Is Running Out », ont purement et simplement été gâchés.
Faut-il pour autant en vouloir à Muse, si le mix de l’ingénieur du son a été complètement raté ? A priori non. En revanche, il y a matière à s’interroger sur certains choix du groupe. Au-delà de la faute commise en introduction, le trio britannique a peut-être un peu trop voulu montrer au Hellfest qu’il avait sa place à Clisson. Leur setlist – qui change tous les soirs, un très bon point pour eux – a été axée sur des morceaux énervés aux riffs gras, comme pour montrer qu’eux aussi ils peuvent envoyer du lourd. Pourquoi pas ? Mais ils n’avaient rien à prouver, et tout ça s’est fait au détriment d’autres morceaux bien plus intéressants de leur répertoire (« Bliss », « Map of the Problematique » , « Muscle Museum », pour ne citer qu’eux…). Saluons, tout de même, leur reprise de « Stranded », de Gojira, clin d’œil à notre fierté nationale que le monde entier a pu découvrir lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024.
Mettre fin au suplice
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Revenons à Muse. Si le groupe aux neuf albums est accompagné depuis des années par un quatrième homme sur scène, en l’occurrence le producteur Dan Lancaster sur cette tournée, son apport à la prestation a de quoi interroger. Sa version remixée techno d’« Isolated System », l’efficace bande originale du film World War Z interprétée au moment de battre le rappel, a littéralement pourri le matériau d’origine. Passons sur les deux derniers morceaux du show, « Uprising » et « Knights of Cydonia », introduit par « L’Homme à l’harmonica » d’Ennio Moricone. Ça aurait pu être très bien pour terminer. Ça ne fut pas le cas.
Le plus frustrant, c’est que Muse donne ici de l’eau au moulin aux détracteurs qui ne voulaient pas les voir ici. « Je n’attendais rien de particulier du groupe, mais je suis quand même déçue », confie en soupirant Louise, originaire du Sud-Ouest, une fois le show terminé, et dont les amies partagent la déception. Quoi qu’on pense de sa discographie – ô combien variée, pour ne pas dire inégale –, le trio a produit une quantité phénoménale de titres. Matthew Bellamy est un virtuose de la musique, un guitariste ingénieux qui a toujours repoussé les limites de ses instruments. Il a créé des riffs légendaires et pourrait se permettre de faire la leçon à bien des métalleux programmés au Hellfest cette année. C’est aussi un chanteur somptueux, dont la voix de ténor lui permet d’évoluer sur de nombreux registres. Ah, si seulement on avait pu entendre tout cela…