Le Musée d’art et d’Histoire de Genève (MAH) célèbre les 100 ans de la naissance de l’iconoclaste et subversif Jean Tinguely en lui consacrant une exposition, au musée Rath, qui tente de faire revivre l’esprit de la dernière présentation de ses œuvres, en 1983, dans ce même musée.
Dès le hall d’entrée du Musée Rath, avant même de pénétrer dans le parcours de l’exposition « Jean Tinguely », présentée jusqu’au 7 septembre, le visiteur est happé par le fatras sonore, les joyeux grincements des rouages et mécanismes saccadés des machines et sculptures cinétiques de l’artiste. L’exposition a été inaugurée le 22 mai dernier, le jour même de la naissance de Jean Tinguely, 100 ans plus tôt, en 1925 à Fribourg.
Monstres de métal
Son univers est celui de la « récup », des pièces glanées dans des décharges et chez des brocanteurs : moteurs, ballon-sonde, tubes en acier, morceaux de vélos, crâne de porc, mandibule de vache, casque militaire et cloche.

Vue de l’exposition « Jean Tinguely » au musée Rath © Ville de Genève, Musée d’art et d’histoire © 2025, ProLitteris, Zurich
Dans la première salle trône une imposante et bruyante machine datant de 1981. Cercle et carré-éclatés est constituée d’une multitude de roues en métal, actionnées par un moteur électrique. À l’extrémité du monstre en métal, une longue branche nue, en forme de défense de mammouth, ondule mollement actionnée par une roue.

Jean Tinguely, Cercle et carré-Eclatés, 1981, présenté dans l’exposition « Jean Tinguely » au Musée Rath © Ville de Genève, Musée d’art et d’histoire © 2025, ProLitteris, Zurich
« Mon intention est de déboussoler, déboulonner, démonter toute forme d’autorité culturelle », confiait, en 1992, l’artiste anarchiste au sociologue Jean-Pierre Keller dans le livre Tinguely et le mystère de la roue manquante. C’est au début des années 1960, grâce à sa sculpture Heureka, présentée à l’exposition nationale de Lausanne durant l’hiver 1963-1964, que Tinguely perce, en Suisse d’abord, avant d’être reconnu à l’international dans les années suivantes.

Vue de l’exposition « Jean Tinguely » au musée Rath © Ville de Genève, Musée d’art et d’histoire © 2025, ProLitteris, Zurich
Ce sont les moins de dix ans qui, le jour de notre visite, un samedi de la fin du mois de mai, se montrent les plus enthousiastes, en activant joyeusement, l’une après l’autre, rires en cascades à l’appui, les 30 machines exposées au rez-de-chaussée et au sous-sol du musée Rath.
Énergie débordante
Si c’est noir, je m’appelle Jean, une pièce emblématique de 1960, a été restaurée tout spécialement, en prévision des célébrations des 100 ans de Tinguely, en cette année 2025, de Fribourg, à Bâle en passant par Genève. L’œuvre, antimilitariste, moque les mécanismes absurdes de l’héroïsme. Elle se compose d’instruments à cordes, de métaux divers, de moteurs et de casques militaires, qui se trémoussent, coulissent et bruissent de sons chaotiques.

Jean Tinguely, Si c’est noir, je m’appelle Jean, 1960, présentée dans l’exposition « Jean Tinguely » au Musée Rath © Ville de Genève, Musée d’art et d’histoire © 2025, ProLitteris, Zurich
Méta-Herbin de 1955, moins monumentale et plus légère, rappelle la grâce des mobiles de Calder (1898-1976) dont l’artiste s’est inspiré. Il a été aussi influencé par les constructions en fil de fer de Walter Bodmer (1903-1973).

Jean Tinguely, Méta-Herbin, 1955, trépied en fer, tiges métalliques, fils de fer, formes en métal et carton peints et moteur électrique, 124,8 x 52,5 x 75 cm © Photo : Fondation Gandur pour l’Art, Genève / Sandra Pointet © 2025, ProLitteris, Zurich
Joie révolutionnaire
Sur les murs sont accrochés des croquis, dessins au crayon, au feutre ou à l’aquarelle, offerts au musée par la Niki Charitable Art Foundation qui représente le droit moral de Niki de Saint Phalle et de Jean Tinguely. Et des gouaches aussi comme Retable de 1990, une rêverie, colorée et exubérante, réalisée à l’aide de plumes, d’autocollants, de papiers métalliques et de rubans adhésifs. Une œuvre qui témoigne, comme nombre de ses machines, d’une énergie débordante. D’une joie révolutionnaire moquant l’ordre établi, l’individualisme forcené, le mercantilisme, le matérialisme et le gaspillage de nos sociétés de consommation.

Jean Tinguely, Sans titre, date inconnue, collage (gouache, autocollants, plumes, fleurs en plastique, décoration d’un sapin de Noël, patchs sur carton), L. 30,5 x H. 45,5 cm © Niki Charitable Art Foundation