Une expertise a récemment montré que le bilan carbone de votre projet était dans les clous. Mais les opposants affirment qu’il ne tient pas compte de l’état de la forêt française ni de la multiplicité des projets ayant besoin de biomasse. Cette concurrence autour de la ressource vous inquiète-t-elle ?
Le défi du siècle, c’est sortir du pétrole. Ça va être long et il faut réussir cette transition collectivement. Quand on enlève le pétrole du paysage, on voit qu’on entre dans des conflits d’usage. Il faudra faire avec les matériaux qui sont disponibles et il n’y en a pas tant que ça.
Mais il ne faut pas en être inquiet. C’est sain, c’est une bonne discussion sur la planification écologique – qui est aussi le rôle de l’État -, à savoir : que doit-on faire en France et de combien de ressources on dispose pour faire quoi ? E-CHO propose une plateforme multi-carburants bas carbone, produits localement (une question de souveraineté).
70 % de nos ressources viennent de l’électricité, 20 % d’agri-déchets et 10 % de la forêt. On voit que ce sont ces 10 % qui interrogent. En réalité, il y a une vision complémentaire, circulaire sur ces projets. Il y a une articulation qu’on peut trouver, qu’on peut construire entre les besoins des uns et les besoins des autres.
Ce ne sera pas le premier arrivé, le premier servi ?
Nos usages ne seront pas prioritaires par rapport à l’alimentation. Ensuite, ils peuvent avoir une place certaine dans l’ordre des priorités définies par l’État. En France, on consomme énormément de carburant chaque année. Notre production ne lui permettra pas d’être autosuffisante.
La question sera alors : combien on en veut ? Notre projet est à ce stade le premier, il n’y a pas de problématique d’accès à la ressource. En revanche, si la France veut multiplier les projets, on entrera dans cette logique d’arbitrage.
Vous prévoyez de produire 87 000 tonnes de e-biokérosène par an. Cela représente la consommation d’environ 400 avions de ligne. Cela paraît peu.
On ne fait pas ce calcul-là. Si on regarde par exemple les besoins de la Défense française au sens large, plus de 400 000 tonnes, nous en produirons plus de 20 %. Ce sont des besoins vitaux pour le pays. Le point clé, ce n’est pas tant le débat sur l’aviation, ou la sobriété énergétique, mais sur notre filière aéronautique et sa consolidation.
Nous voulons avec E-CHO la sécuriser et la renforcer. Éviter qu’elle se fragilise par inaction ou manque d’anticipation. Elle a d’ailleurs confirmé récemment que les carburants durables seront essentiels à sa pérennité. Pour les batteries, on avait laissé la main à la Chine. Aujourd’hui, les premiers projets mondiaux de carburants durables qui sortent, c’est aussi en Chine. Ça va très vite. C’est pourquoi il est primordial que des projets comme le nôtre puissent émerger.
En décembre, vous avez annoncé avoir levé 120 millions d’euros. Mais il y a encore une sacrée marge avant d’arriver aux 2 milliards d’investissements prévus…
Nous avons réalisé en 2024 une opération majeure, vous l’aviez écrit, en faisant entrer des fonds d’infrastructures qui ont la particularité de vouloir financer l’usine. Ils ont déjà accepté de préfinancer des études qui sont, par définition, risquées. Je ne peux pas vous dire qu’on a les 2 milliards, ce n’est pas vrai.
Mais nous avons avec nous des acteurs de poids, à l’image du néerlandais PGGM qui a 250 milliards d’euros sous gestion. Ensuite, le financement d’E-CHO reste un travail presque quotidien. En 2025, d’autres étapes seront franchies. L’enjeu aujourd’hui, ce n’est pas de financer ces 2 milliards, mais de pouvoir financer les études d’ingénierie. Nous aurons les 2 milliards au moment de la décision finale d’investissement, courant 2026.
Il faut aussi regarder les retombées pour le Béarn : 18 millions ont déjà été investis, 110 millions d’ici 2026. Et lors de la phase de la construction, jusqu’à 4 000 personnes vont être sur le chantier, durant 3 ans, jusqu’à horizon 2030 et le démarrage de la production.
Comment une PME industrielle aussi jeune que la vôtre, créée en 2020, parvient à convaincre ces gros financeurs ?
La clé, c’est d’avoir un bon projet. Et un bon projet, il répond avant tout à un besoin, qui s’inscrit dans une vision. Notre équipe est aussi constituée d’experts sur tous les sujets, et en expériences cumulées, nous sommes sur beaucoup plus que quatre ans.
Notons que sur les filières émergentes, ce sont les acteurs indépendants, comme nous, qui ont toujours été précurseurs. Après, cela reste en effet un sacré défi de mobiliser 2 milliards de capitaux très majoritairement privés.
Êtes-vous inquiet par rapport au réchauffement climatique et aux possibles sécheresses qui vous couperaient la ressource en eau nécessaire au process ?
On est face à ce paradoxe : faire une transition qui nécessite des investissements dans un monde qui change et dont les ressources se raréfient. Nous l’avons annoncé : nous avons abaissé de 15 % nos prévisions de besoins en eau. À ce stade, nous utiliserons 12 fois moins d’eau qu’à l’époque de Celanese.
En référentiel industriel, ça peut choquer, mais notre projet ne mobilisera qu’une petite quantité. Mais nous travaillons encore pour tenter d’optimiser ces données tout en ayant un outil industriel qui fonctionne.
Vous voulez faire de l’e-biokérosène. Pourquoi pas du e-kérosène, comme vous l’invitent certains opposants ?
C’est une hypocrisie. Pour l’e-kérosène, il faut de l’hydrogène et du CO2, et ce CO2 doit être biogénique, venant de la biomasse. Celui qui produit ce carburant est exposé tout comme nous au sujet forestier. Le reliquat de 10 % de biomasse reste indispensable.
En outre, le e-kérosène est deux à trois fois plus cher que le e-biokérosène qui lui-même est deux fois plus cher que le kérosène fossile. Le défi est de savoir qui paie. Nous, nous avons un projet qui a un équilibre économique à ces niveaux de prix.
Comment appréhendez-vous l’opposition à E-CHO ?
Le projet suscite des bonnes questions, parfois des inquiétudes ou de la colère, c’est normal. Notre démarche, en lien avec la Commission nationale du débat public, est d’y répondre pour bâtir un consensus le plus large possible. Nous souhaitons que notre projet soit le plus vertueux possible.
Sur le bilan carbone, notre méthodologie nous permet d’atteindre ce seuil de réduction de 70 % d’émissions. Les opposants, eux, ne contestent pas le projet mais la comptabilité carbone en vigueur en France, en Europe et dans le monde. Je ne rentre pas dans ce débat.
Quant à l’électrolyseur, dont la taille préoccupe, partout dans le monde des projets bien plus gros sont lancés. Nous ne sommes pas sur quelque chose d’exotique, on va acheter sur étagère une technologie qui fonctionne.
Des attaches souletines et un parcours « électrique »
Elyse Energy, c’est 75 collaborateurs et cinq associés dont les deux Lyonnais Pascal Pénicaud, PDG, et Benoît Decourt. Deux autres sont dans le Sud-Est, un dernier à Paris. Pascal Pénicaud connaissait bien le département, ayant des racines familiales (une grand-mère maternelle) à Tardets, en Soule. Fils de prof de lettres et d’universitaire, il était assez loin des métiers de l’entrepreneuriat, avant de débuter sa carrière chez EDF à Paris. « C’est ainsi que j’ai découvert le monde de l’énergie et en particulier celui de l’électricité. Électricité qui est au cœur de tous les enjeux de souveraineté et de transition énergétique » souligne-t-il. Par la suite, en tant que salarié puis dirigeant, il a contribué à monter l’entreprise Tenergie, « premier producteur français indépendant d’énergie solaire ». Voilà qui cadrait déjà à sa volonté de participer à cette transition « où on passe d’un système énergétique mondial très centralisé, où le citoyen est loin de son énergie, à une réappropriation locale, dans une logique de territoire ». Clin d’œil de l’histoire, E-CHO, en s’implantant entre Mourenx, Pardies et Bésingrand, sera cerné des centrales solaires de Total Cadran.