Selon le Rassemblement national, la programmation pluriannuelle de l’énergie va coûter 300 milliards d’euros sur la période 2025-2035.
Le tiers de cette somme irait aux énergies renouvelables, d’après le parti de Marine Le Pen, qui assure que les factures des Français vont augmenter de “100%”.
Des affirmations qui ne reposent sur aucune donnée fiable. Explications.
“Un budget de 300 milliards d’euros” pour la programmation pluriannuelle de l’énergie, “100 milliards de dépenses” pour les énergies renouvelables, une hausse de “100%” pour “les factures des consommateurs” et de “30% pour les entreprises“… depuis plusieurs semaines, les membres du Rassemblement national inondent de chiffres le débat public sur l’énergie.
Avec un objectif : faire adopter la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) par la loi, et non par décret ; et une arme : une menace de censure du gouvernement Bayrou. C’est désormais acquis, puisque le Premier ministre a annoncé lundi, à l’occasion d’un débat sans vote sur l’énergie à l’Assemblée nationale, que la publication du décret qui fixera les orientations énergétiques de la France pour les 10 prochaines années se fera “à la fin de l’été“, après l’examen d’une proposition de loi sur le sujet.
100 milliards d’euros investis par RTE
Qu’en est-il des chiffres avancés dans ce débat sensible, car stratégique pour la France, mais aussi très politisé ?
D’abord, les fameux “300 milliards” d’euros évoqués par le RN et qui serait, selon lui, le coût de la PPE sur dix ans : 100 milliards d’euros d’investissement pour le réseau haute tension géré par RTE, 100 milliards d’euros pour Enedis (qui gère le réseau moyenne et basse tension) et 100 milliards d’euros pour les énergies renouvelables, selon leurs calculs. Et le parti de Marine Le Pen précise qu’une partie des 200 milliards d’euros d’investissements RTE/Enedis serait également à imputer aux énergies renouvelables, soit le coût de raccordement des nouveaux parcs éoliens et photovoltaïques.
La seule certitude parmi ces chiffres est l’enveloppe de 100 milliards d’euros d’investissement, annoncée en février par RTE, le gestionnaire du réseau qui relie centrales nucléaires et parcs renouvelables aux villes, campagnes et usines.
Adapter le réseau à la chaleur et aux crues
Cette somme doit permettre – sur 15 ans et non 10 ans comme la PPE – de moderniser le réseau dont certaines lignes ont été installées il y a cent ans, d’installer des lignes résistantes aux vagues de chaleur et aux crues centennales, mais aussi de bâtir un réseau capable d’absorber la hausse de la consommation d’électricité.
Celle-ci est liée à l’électrification prévue des usages (véhicules électriques, décarbonation, etc.) mais aussi au développement de nouvelles installations comme les data centers. Selon RTE, ces centres de données consommeront l’équivalent de l’électricité produite par trois à cinq réacteurs nucléaires en 2040.
De cette somme, Marine Le Pen a extrait uniquement les 37 milliards d’euros prévus par RTE pour l’éolien en mer, qui est bel et bien le chiffre prévu par le réseau de transport si les projets prévus sont maintenus, et évoque “des énergies intermittentes toxiques pour les centrales nucléaires“.
Elle n’interroge en revanche ni les coûts de raccordement des futures centrales nucléaires ni leur coût de construction (51,7 milliards d’euros prévus par EDF) ni le futur tarif associé (100 euros du MWh selon EDF, contre 57 euros seulement pour les parcs photovoltaïques, autour de 80 euros pour les parcs éoliens terrestres).
Ensuite, dans les fameux 300 milliards, se trouvent aussi les investissements annoncés il y a quelques années par Enedis, qui gère les lignes à basse et moyenne tension pour acheminer le courant dans les foyers français. La filiale d’EDF prévoyait d’investir 96 milliards d’euros entre 2022 et 2040, ce chiffre n’a pas fait l’objet d’une publication récente.
35 milliards et non 100 milliards pour les énergies renouvelables
Restent donc 100 milliards, qui, selon le RN, seraient 100 milliards d’euros de subventions aux énergies renouvelables. France Renouvelables, l’association qui rassemble les professionnels des énergies renouvelables électriques en France (éolien, photovoltaïque, hydraulique), a tenté de refaire le calcul pour retrouver ce chiffre qui ne figure pas dans la PPE.
La structure a pour cela regardé les charges de service public de l’électricité (CSPE) : celles-ci sont liées au soutien aux énergies renouvelables électriques, mais aussi gazières (le biométhane par exemple) mais aussi à la transition énergétique dans les zones non interconnectées.
“Si on impute la totalité de la CSPE au bénéfice des ENR électrique, on trouve 9 milliards d’euros sur la durée de la période de la PPE de 10 ans, soit 90 milliards d’euros“, relève pour TF1info Mattias Vandenbulcke, délégué général adjoint de France Renouvelables. On se rapprocherait donc des 100 milliards d’euros évoqués par le RN, mais cela voudrait donc dire d’imputer la totalité des CSPE aux énergies renouvelables électriques, ce qui n’est pas le cas. “Si on adopte une estimation plus fine, basée sur les données actualisées, on trouve un soutien moyen de 3,5 milliards d’euros par an, soit 35 milliards d’euros sur la période de dix ans de la PPE“, et non 100 milliards, précise-t-il.
En France, la consommation dépend à 60% des énergies fossiles
Par ailleurs, dans leurs propos, les représentants du RN “oublient” deux données :
- d’abord, les six EPR du nouveau nucléaire, prévus en 2038, sont destinées à remplacer les centrales nucléaires vieillissantes, et leur production ne va donc pas venir s’ajouter à la production de celles-ci. Il n’y aura donc pas davantage d’électricité produite grâce au nucléaire, et le RN ne dit pas la façon dont la demande sera couverte.
- ensuite, et le sujet est lié, le RN n’évoque pas la dépendance de la France aux énergies fossiles (nos activités en dépendent à 60%) et le coût représenté par celles-ci.
Chaque jour, ce sont 180 millions d’euros qui s’envolent pour couvrir notre consommation d’énergies fossiles.
Chaque jour, ce sont 180 millions d’euros qui s’envolent pour couvrir notre consommation d’énergies fossiles.
Union française de l’électricité
Au-delà des aspects climatiques, les objectifs de décarbonation de la France visent aussi à réduire la dépendance du pays aux énergies fossiles importées de pays “parfois hostiles à nos intérêts“, comme l’ont écrit plusieurs acteurs énergétiques, dont l’Union française de l’électricité (UFE), dans une lettre ouverte aux parlementaires.
“Les bouleversements géopolitiques renforcent l’urgence de faire les bons choix énergétiques, rappelle encore l’UFE cette fois auprès de TF1. La France reste fortement dépendante de l’importation d’hydrocarbures. Chaque jour, ce sont 180 millions d’euros qui s’envolent pour couvrir notre consommation d’énergies fossiles. Il faut sonner la révolte.”
66 milliards d’euros liés aux exportations
Selon les calculs de France Renouvelables, “si les objectifs de la PPE sont atteints en 2035“, les importations de fossiles vont baisser et “près de 210 milliards d’euros” économisés. Dans le même temps, la production d’électricité décarbonée en France lui permet d’exporter de l’électricité et rapporterait, selon les mêmes calculs, 66 milliards d’euros sur la période.
“Sur l’énergie, comme sur d’autres sujets, la stratégie du RN est toujours la même : évoquer les chiffres qui les arrangent, commente une source politique. Là, le RN parle des coûts associés aux énergies renouvelables, gonfle les chiffres, n’évoque ni les coûts du nucléaire, ni la dépendance aux fossiles, ni l’argent gagné grâce aux renouvelables.”
Il faut dire que sur ce sujet, l’objectif du RN a été clairement énoncé dans son programme à la dernière présidentielle : “moratoire sur l’éolien et le solaire“, et “démantèlement progressif des sites éoliens, en commençant par ceux qui arrivent en fin de vie“.
Qu’en est-il de la facture des Français ? Elle ne dépendra pas de la PPE, comme le dit le RN, mais en partie des négociations en cours sur la réforme du mécanisme qui encadre les prix de l’électricité nucléaire en France à compter de 2026.
Cette date marquera en effet la fin de l’Arenh, pour accès régulé à l’électricité nucléaire historique, qui oblige EDF à vendre à un prix cassé une partie de sa production nucléaire. Une mission d’information parlementaire a été lancée en avril sur ce sujet sensible.