Floriane de Lassée. – De la série « Le Caillou calédonien », la tribu de Tendo, non loin de Hienghène, 2014
© Floriane de Lassée
«On ne va pas sortir de la France par la grande porte pour revenir mendier par la fenêtre. » En 1988, Jean-Marie Tjibaou résumait d’une formule la ligne de son mouvement. Longtemps, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a entendu faire du développement un élément central du combat pour la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie. Cette stratégie pouvait séduire de nombreux Néo-Calédoniens soucieux de la santé économique de l’archipel, y compris parmi les partisans du maintien dans la République. Travailler à l’avènement de la souveraineté économique supposait toutefois de modifier les mécanismes d’origine coloniale qui enrichissent quelques-uns au détriment du plus grand nombre, et de s’affranchir des transferts financiers de l’État français. Pour cela, les indépendantistes ont misé avant tout sur la maîtrise et la valorisation des ressources en nickel de la Grande Terre.
Dans les années 1970, l’État injecte des flux massifs dans les circuits économiques locaux, officiellement pour accompagner le « boom du nickel », officieusement pour lutter contre les tendances séparatistes en plaçant l’archipel en situation de dépendance vis-à-vis de la métropole. Les principaux dispositifs qui organisent le processus de décolonisation — les accords de Matignon (1988) puis celui de Nouméa (1998) — s’inscrivent à première vue dans la continuité de cette dynamique. Dotations, salaires et pensions des fonctionnaires, défiscalisation : Paris ou Bruxelles financent largement le transfert progressif des compétences, tout comme le rééquilibrage entre Kanaks et non-Kanaks, ainsi qu’entre la province Nord et celle des îles Loyauté, plus pauvres, et la province Sud, davantage industrialisée.
Cette logique participe à renforcer la peur de l’indépendance, sur laquelle les loyalistes capitalisent : si elle advenait, l’archipel finirait par ressembler aux États insulaires de la région dont le niveau de vie est bien inférieur. Selon les indépendantistes, en revanche, si l’État met la main à la (…)
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Benoît Trépied
Anthropologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Auteur de Décoloniser la Kanaky-Nouvelle-Calédonie (Anacharsis, Toulouse, 2025), dont ce texte est extrait.