Les professionnels de l’énergie n’en reviennent pas. La proposition de loi “Grémillet”, du nom de son rapporteur, dessine un paysage énergétique complètement foutraque et surtout dangereux pour la fourniture en électricité de la France. Le Rassemblement national (RN) a mobilisé ses troupes pour pouvoir passer une série d’amendements visant à promouvoir un mix énergétique à 100% nucléaire sans éolien terrestre et offshore ni photovoltaïque. Le texte sur lequel vont voter les députés dans la soirée du 24 juin instaure notamment un moratoire sur les énergies renouvelables exécutable immédiatement et sans échéance finale précise, un arrêt de l’intégration du système électrique français au sein des marchés européens, la suppression de dispositions de protection des consommateurs devant les offres diverses de contrats de fourniture d’énergie, etc.
La proposition de loi contient des contradictions de taille
“Chacun y est allé de ses convictions idéologiques sans jamais s’appuyer sur la réalité de la production et de la consommation d’énergie”, regrette Mattias Vandenbulcke, délégué général adjoint de France renouvelables, organisation qui fédère les différentes filières renouvelables et qui a suivi les débats de l’Assemblée en direct. La proposition de loi contient même des contradictions de taille. Alors qu’un article impose un moratoire à l’éolien et au solaire, un autre leur donne un objectif de production de 200 térawatts/heure en 2035.
Ce débat parlementaire est une concession faite par le Premier ministre François Bayrou aux parlementaires exigeant de donner leur avis sur la troisième “programmation pluriannuelle de l’énergie” (PPE3) qui doit faire l’objet d’un décret depuis la dernière consultation du public clôturée le 5 avril 2025. Cette PPE fixe une réduction de consommation de 30% en 2030, de 50% en 2050. Elle prévoit une transition des usages — principalement les transports et le bâtiment — du gaz et pétrole vers l’électricité afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. La production électrique doit en effet s’appuyer sur des énergies décarbonées — renouvelables et nucléaire — pour se substituer aux énergies fossiles émettrices de gaz à effet de serre. La PPE3 prévoit donc l’ajout de 1,5 gigawatt (GW) de puissance éolienne par an jusqu’en 2035 et 65 GW au moins en 2035 pour le solaire. Elle intègre également la construction de six EPR de deuxième génération. Les deux sources énergétiques se veulent donc complémentaires, même si le renouvellement du parc nucléaire n’interviendra au mieux qu’en 2040 alors que solaire et éolien sont aujourd’hui en plein déploiement à des coûts très compétitifs.
Les travaux des énergéticiens ignorés
Pour les opposants aux énergies renouvelables, principalement à la droite et à l’extrême droite de l’échiquier politique, cet essor des énergies renouvelables va coûter très cher aux Français. Un chiffre revient en boucle : la PPE3 va coûter 300 milliards d’euros pour rien. Un chiffrage qu’aucun organisme public en charge du système électrique n’a officialisé. Il s’agit en réalité d’un amalgame entre investissements nécessaires dans la modernisation des réseaux, l’adaptation aux nouvelles technologies et investissements pour effectivement relier aux réseaux des sources délocalisées de production.
L’Assemblée nationale a donc discuté d’énergie sans s’appuyer sur aucun des travaux menés de longue date par les “sachants” : les énergéticiens. En février 2022, Réseau transport d’électricité (RTE) en charge des réseaux haute tension en France a ainsi publié six scénarios à l’horizon 2050 qui donnent un cadre technique à toute discussion sur l’avenir énergétique de la France. La transformation du mix électrique pour décarboner la France ne peut se faire qu’à deux conditions, souligne alors RTE : “Atteindre la neutralité carbone est impossible sans un développement significatif des énergies renouvelables ; se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique un rythme de développement des énergies renouvelables plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques.”
Une position dangereuse pour l’indépendance énergétique de la France
La position du Rassemblement national va donc à l’encontre des engagements de la France pris au niveau européen et au niveau international pour l’application de l’Accord de Paris et donc l’atténuation des émissions des gaz à effet de serre. “Nous appelons à soutenir toutes les filières de production d’électricité bas carbone, qu’elles soient nucléaires ou renouvelables, en privilégiant une approche fondée sur l’efficacité économique du système électrique et de diversification des risques. C’est à cette condition que nous pourrons substituer durablement l’électricité aux énergies fossiles importées, et garantir un mix cohérent, résilient et compétitif”, écrit dans une lettre ouverte aux députés l’Union française de l’électricité (UFE), l’association professionnelle du secteur qui représente les entreprises de l’ensemble de la chaîne de valeur du système électrique français. Un moratoire du solaire et de l’éolien mettrait par ailleurs en danger 80.000 emplois non délocalisables.
Le vote de ce mardi va au-delà des positions pour ou contre le nucléaire, pour ou contre les éoliennes. Outre l’incontournable lutte contre le changement climatique, l’électrification des usages à partir de sources localisées en France est un moyen de ne plus dépendre des pays pétroliers et gaziers qui fournissent actuellement la France en énergie. L’UFE rappelle ainsi que chaque jour, la France dépense près de 180 millions d’euros pour importer des énergies fossiles, “soit plus de 65 milliards d’euros chaque année versés à des puissances étrangères parfois hostiles à nos intérêts”. “Il est quand même paradoxal que le parti qui, matin et soir, n’a que le mot souveraineté à la bouche fasse tout pour que nous continuions à dépendre de l’étranger tout en faisant en sorte que les industries photovoltaïques et éoliennes qui participent à la réindustrialisation de la France ne puissent pas se développer”, s’indigne Mattias Vandenbulcke.