
Ils étaient trop nombreux pour la petite salle du conseil des Prud’hommes du Havre. Plus de quarante salariés de l’ancienne entreprise Dresser Rand, aujourd’hui appartenant à Siemens Energy, ont assisté à l’audience les concernant lundi 3 mars 2025.
Ces plaidoiries revenaient sur la légitimité des licenciements en 2021 d’une centaine de salariés rassemblés en collectif. Quelques jours plus tôt, les mêmes arguments ou presque avaient été avancés pour le jugement concernant les 12 cadres contestant le même plan de licenciement.
Entre mobilisations et négociations
Retour sur les faits. En 2020, l’annonce de la fermeture de l’unité de fabrication de compresseurs avait entraîné le départ d’environ 250 employés sur le site du Havre. Un énorme choc comme en témoignait Pascal Nicod, secrétaire CGT du Comité social économique, dans nos colonnes.
L’annonce faite par Siemens est d’une violence incroyable pour les salariés. J’ai 31 ans de boîte derrière moi et tous, on s’est battus pour faire de cette entreprise une entreprise rentable…
Et après plus de six mois de mobilisation et négociation compliquée par l’arrivée de la pandémie de Covid-19, un accord majoritaire avait finalement été signé. En 2023, on notait 154 départs volontaires et 98 départs contraints.
« Dès l’annonce du PSE, nous avions dit que l’objectif de Siemens Energy était de fermer le site et on reste persuadés que c’est le cas. », déclaraient en janvier 2023 les élus CGT de Dresser Rand Franck Le Balc’h comme Romain Lecossais. « Après la production des pièces qui a été délocalisée en Inde, on peut craindre que l’assemblage qui est fait chez nous soit également délocalisé ».
Mensonges et obligations
Certains salariés, estimant la démarche de l’entreprise illégitime se sont rassemblés, d’abord quelques dizaines puis 120 personnes, via un groupe sur les réseaux sociaux. Ils ont décidé de porter l’affaire devant les Prud’hommes pour « licenciement sans cause réelle et sérieuse ».
Alors ce lundi 3 mars, le ton était donné au tribunal. L’avocat des salariés, Maitre Fiodor Rilov, a argumenté – pendant plus de 2 heures – n’hésitant pas à évoquer le caractère « totalement illégal » de ce plan, ou des « licenciements qui violent à peu près tous les articles possibles du licenciement économique ».
Face à lui, les deux avocates ont tempéré en évoquant « des mensonges tant par les demandeurs que par la société », soulignant des défauts dans la procédure. Par exemple, que l’une des quatre entreprises mises en cause par les salariés était déjà radiée lors de la demande d’audience. Elles ont donc retenu uniquement les charges concernant les entreprises Dresser Rand, Siemens Energy SAS en France, et Siemens Energy en Allemagne. Les deux avocates ont décrit un PSE « extrêmement respectueux des salariés ».
Pour tout licenciement économique, l’entreprise doit attester de la baisse de son chiffre d’affaires entraînant la nécessité d’un Plan social d’économie (PSE). Or, le groupe Siemens « a réalisé des profits records » en 2021 au moment des licenciements d’après l’avocat des salariés. L’entreprise, de son côté, a choisi de se baser sur des chiffres, moins bons, datant de 2020.
Maître Fiodor Rilov a également tenté de convaincre la cour d’un manquement à l’obligation de reclassement de la part de l’entreprise. Lors d’un PSE l’entreprise a l’obligation de proposer d’autres postes aux salariés pour des compétences équivalentes. « 80 % des sociétés du groupe ont été ignorées dans les possibilités de reclassement, elles n’auraient pas de salariés. Quand on a les ressources de Siemens on peut respecter ces exigences légales. On a des salariés, des ouvriers qui ont un savoir-faire extraordinaire ».
Co-emploi ou coordination normale ?
La catégorisation du lien reliant Siemens Energy et Dresser Rand elle-même a été questionnée. « En Allemagne c’est différent, mais en France quand une entreprise détient 40 % du capital, elle est supposée détenir cette entreprise au sens du droit social par la présomption de contrôle », a avancé l’avocat des salariés. Cette problématique pose précisément la question d’un possible co-emploi. C’est-à-dire que les salariés auraient été employés par deux entreprises en même temps. Les avocates de Siemens energy ont assuré qu’en l’absence de décisions prises par une entreprise pour une autre il n’y avait pas de telle question, mais bien une « coordination normale au sein d’un groupe ».
Au-delà du sérieux des pièces des avocats et des accusations mutuelles de mensonges, la cour devra décider si le motif économique du plan de licenciement était valable. Elle rendra son jugement le 2 juin 2025.
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