« Il y a plus de métal dans mon corps que dans une cour à scrap », blaguait Ozzy Osbourne en mai dernier au quotidien The Guardian. Et sa déclaration n’avait rien de métaphorique. Le prince des ténèbres ne parlait pas du genre musical – le métal – qui n’existerait pas sans son groupe, Black Sabbath. Il parlait des authentiques morceaux de métal que des chirurgiens ont glissé dans sa chair.
Depuis 2019, rien ne va plus pour le mad man, qui en a pourtant vu d’autres. En plus d’avoir reçu un diagnostic de la maladie de Parkinson et d’avoir survécu à deux pneumonies et à quelques infections au staphylocoque, il est passé cinq fois sous le bistouri afin qu’on lui ramanche le dos.
Mais qu’à cela ne tienne, grand-papa Ozz a juré qu’il fera tout, et on le sait capable de beaucoup, pour rejoindre ses camarades sur scène lors de Back to the Beginning, des funérailles d’une durée de dix heures retransmises en ligne.
« Ce sera le plus grand show métal de tous les temps », a promis le chef d’orchestre Tom Morello au sujet de cette procession royale de formations influencées d’une manière ou d’une autre par Black Sabbath, dont Metallica, Guns N’Roses, Slayer, Tool, Soundgarden, Pantera, Alice in Chains, Anthrax et Mastodon, qui brancheront tous leurs amplis samedi au Villa Park de Birmingham.

PHOTO SCOTT GRIES, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE
Ozzy Osbourne, Bill Ward, Tony Iommi et Geezer Butler au Rock and Roll Hall of Fame, en 2006
Ozzy Osbourne, 76 ans, devrait quant à lui jouer cinq chansons tirées de son répertoire en solo et quatre autres en compagnie de ceux avec qui il a fondé Sabbath en 1968 : le guitariste Tony Iommi, 77 ans, le bassiste Geezer Butler, 75 ans, et le batteur Bill Ward, 77 ans.
La dernière présence de Ward sur scène avec ses amis remontant à 2005, il n’était pas du plus récent spectacle d’adieu de Black Sabbath, en février 2017, leur troisième au revoir en carrière, après ceux de 1992 et 1999.
De vrais inventeurs
« Black Sabbath, c’est un des seuls bands qui a carrément inventé un style musical », croit fermement le bassiste de Groovy Aardvark et Grimskunk Vincent Peake, aussi batteur du groupe hommage – avec flûte et accordéon ! – Sabbath Café. Pour lui, aucun débat n’est nécessaire. « Led Zeppelin, c’est un band de heavy blues, pas vraiment de métal, alors que dès le premier riff de la chanson Black Sabbath, t’entends le fameux triton. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE
Le musicien Vincent Peake
Le triton ? Il s’agit de cet intervalle musical de trois tons, surnommé l’intervalle du diable, infatigable muse des métalleux. « L’imagerie weird et louche du métal, ça vient de Black Sabbath. »
C’est en écoutant CHOM avec son frère Danny que Vincent Peake est tombé sous l’emprise de l’omnipotence de War Pigs et Iron Man. Il commanderait bientôt l’ensemble de la discographie du groupe grâce à cette bénédiction pour tant de jeunes mélomanes qui s’appelait la Maison Columbia. Son préféré ? C’est bien sûr « le plus pesant et le plus maléfique » : Master of Reality (1971), avec sa pochette noir et mauve.
« Je trouve justement que Black Sabbath, c’est de la musique en noir et mauve. » Noir, d’accord, mais mauve ? « Le côté mauve, c’est le propos social. Ça parlait de guerre, ça parlait d’inégalités sociales. Ils viennent d’un milieu ouvrier et ils ont toujours continué d’écrire du bon côté de la force, du côté du peuple. »
La vraie fin ?
Pour Vincent Peake, Tony Iommi compte parmi les plus grands fournisseurs de riffs de l’histoire du rock. « Il y a un côté progressif dans Black Sabbath, pas parce que ça sonne comme du Yes ou du Genesis, mais parce que Tony n’offre jamais juste un riff. Il t’en donne toujours quatre ou cinq dans la même chanson. Et c’est des riffs que souvent, tu peux chanter comme des hymnes. »

PHOTO CHAD BATKA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES
Le guitariste Tony Iommi sur scène à New York, en 2016
Peake vante aussi la vélocité du jeu à quatre doigts du bassiste Geezer Butler et l’inventivité du batteur Bill Ward. « Il y a une finesse, une élégance dans leur jeu, parce qu’il ne faut pas oublier que quand ces gars-là ont grandi, il n’y avait pas de heavy métal. Ils ont écouté du jazz et du vieux rock’n’roll, c’est pour ça qu’il y a une swing dans leur musique, que ce n’est pas juste carré. »
Extrait de Children of the Grave
Et Ozzy, lui ? Malgré cette image de bouffon gâteux qu’aura cristallisée la téléréalité The Osbournes, « c’est un chanteur blues à la voix extraordinaire », pense Peake, qui recommande l’écoute de leur live à Paris en décembre 1970. Lui les a vus quatre fois : en 1983 avec Ian Gillan au micro, en 1992 avec Ronnie James Dio puis enfin, en 2014 et 2017, avec Ozzy aux commandes.

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Vincent Peake avec son exemplaire de leur album live à Paris
« Ozzy chante bien et juste, il a une voix puissante. On a peut-être eu l’impression que son âge le rattrapait, mais quand tu regardes des vieux vidéos, tu vois qu’il a toujours eu cette démarche bizarre, ce look bizarre. Il a toujours été l’homme-grenouille. »
Parce que dans le monde du rock, seule la mort signe réellement la fin des tournées et des albums retours, aucun des quatre membres de Black Sabbath n’a écarté la possibilité d’un autre ultime disque. « Mais le Sabbath original », a juré Ozzy en entrevue avec le webzine Louder Sound, « ne sera plus jamais ensemble sur scène. »