“À quel point vous sentez-vous débordés ? » Sur une échelle de 1 à 10, à cette question posée par Xavier Plisson, coach agricole, aux participants d’un webinaire qu’il organisait en février (“Agriculteurs, agricultrices : comment sortir de l’eau ?”), 56 % se situent au-delà de 6.
Pourquoi les agriculteurs sont-ils particulièrement concernés ?
« Les agriculteurs se retrouvent face à de multiples sollicitations : visites, appels, SMS, mails des divers partenaires qui gravitent autour de la ferme (commerciaux, techniciens, etc.), dans le cadre de leurs engagements professionnels, etc. sans oublier les réseaux sociaux », met en avant Benjamin Rolland.
La saisonnalité de certains travaux engendre des pics d’activité et de fréquents changements de rythme de travail. Le manque de main-d’œuvre et les divers aléas – climatiques, sanitaires, mécaniques, économiques, de marché… –, de plus en plus nombreux, tendent à alourdir encore la charge de travail et mentale. « Tout cela génère du stress, un mécanisme physiologique impactant la capacité à s’organiser. Les exploitants agricoles ne peuvent pas tout faire. Il faut savoir prioriser et renoncer à certaines tâches, ce qui est parfois difficile », appuie-t-il.
« Pour gagner du temps, il faut en prendre, image le coach. C’est un investissement dans la durée ». Il ne peut qu’être bénéfique à la prise de recul sur le fonctionnement de l’exploitation pour, notamment, réfléchir à l’amélioration de l’organisation du travail. « En réalité, il ne s’agit pas de gérer son temps, mais de se gérer soi-même dans le temps. » Autrement dit : de « comprendre sa propre perception du temps ».
Quels sont les enjeux ?
“En quoi est-ce important, pour vous, de mieux gérer votre temps sur la ferme ? » 64 % des agriculteurs qui participaient au webinaire aimeraient réduire stress et charge mentale, 57 % souhaiteraient préserver les performances de leur entreprise et 43 % mieux concilier les sphères professionnelles, familiales, personnelles ; loin devant les autres motivations : être mieux organisé, plus concentré, davantage satisfait de son travail, avoir une meilleure image de soi, des relations plus faciles avec les autres (14 % respectivement).
Pourtant, l’un des premiers effets d’une bonne gestion du temps : vous serez moins stressé, plus concentré et efficace. Votre charge mentale sera diminuée et votre motivation reboostée. Vous serez davantage satisfait de votre travail et aurez une meilleure estime de vous. « Au lieu de subir, vous retrouverez la maîtrise de la situation », ajoute Benjamin Rolland. Éviter trop de pertes de temps et d’efficacité limite également la fatigue, les accidents, maladies, burn-out. Le coach pointe aussi l’impact d’une mauvaise gestion du temps sur les relations humaines au sein du collectif de travail. Et sur l’importance de communiquer et se concerter pour améliorer le pilotage et la coordination des chantiers.
« Tout manque ou retard d’information peut conduire à des erreurs. » En jeu plus globalement, « les performances et la pérennité de la ferme », argue Xavier Plisson, présent aux côtés de Benjamin Rolland lors de ce webinaire et spécialisé sur l’ensemble de ces problématiques de temps de travail en agriculture. Il a d’ailleurs lancé, il y a trois ans, la société away pour accompagner les agriculteurs dans ce domaine (organisation, gestion des priorités, productivité), les sensibiliser à l’importance que cela peut avoir et les amener à faire évoluer leurs pratiques. « L’équilibre vie pro et perso, souvent la variable d’ajustement, en bénéficiera. De même que votre épanouissement professionnel et personnel, et votre sérénité au quotidien. »
Comment améliorer sa gestion du temps ?
Xavier Plisson donne des outils concrets pour mieux s’organiser au quotidien, soit 6 leviers d’efficacité, qui reviennent à :
se demander comment
1. fixer ses priorités (professionnelles et personnelles)
2. faire ses choix, prendre ses décisions (critères, outils…)
3. planifier les tâches (en fonction d’objectifs clairs, avec un plan d’action pour les atteindre)
4. renforcer son énergie (hygiène de vie, gestion du stress, de la charge mentale, de la fatigue, etc.)
« Vous aurez beau avoir la meilleure organisation et les meilleurs outils du monde, si vous êtes stressé, fatigué, malade, vous ne serez probablement pas très efficace », fait-il remarquer.
5. se focaliser (capacité de concentration intense et prolongée sur une tâche)
« Face aux sources de distraction croissantes auxquelles notre société est exposée, numériques en particulier, cela devient de plus en plus difficile, constate-t-il. Il faut lutter contre ces tentations pour ne pas se laisser submerger. »
6. S’appuyer sur les relations humaines (les interactions sociales et une communication fluide peuvent faire gagner du temps collectivement).
Priorités, planification, relations humaines : approfondissons ces 3 leviers
1. Définir ses priorités
Des outils existent. Commencez par une « To do list » pour « décharger tout ce que vous avez en tête ». Ensuite, vous pouvez utiliser la matrice d’Eisenhower. Derrière ce mot barbare : un schéma simple, qui consiste à classer les tâches selon deux paramètres, leur importance et leur urgence.

« Dans votre quotidien d’agriculteur, vous gérez principalement des urgences, en mode pompier, d’où l’impression d’être toujours débordé et de courir après le temps », constate Xavier Plisson. La solution ? En s’appuyant sur la matrice d’Eisenhower : « se concentrer sur les activités importantes non urgentes, qui n’exercent aucune pression sur vous, car c’est vous qui agissez sur elles. »
Pour bien comprendre, le coach prend l’exemple d’un tracteur tombant en panne en pleine moisson. « Vous vous retrouvez dans une situation d’urgence : réparer le matériel pour éviter de trop grosses conséquences sur la récolte. Or, si vous aviez fait réviser votre moissonneuse en amont et l’aviez mieux entretenue, vous ne seriez pas dans cette situation. » Entretien et révision du matériel font partie des « tâches importantes non urgentes » à planifier, sinon vous risquez de toujours les repousser. Dans cette même catégorie : les réflexions stratégiques.
Après la matrice d’Eisenhower, le principe de Pareto peut vous aiguiller sur ce qui doit être priorisé : 20 % de nos efforts produisent 80 % des résultats alors « autant cibler et consacrer votre énergie aux activités à forte valeur ajoutée ».
2. Planifier les tâches
Le point de départ : fixer des objectifs clairs pour la campagne, à décliner par mois et par semaine, même s’il n’est pas toujours simple en agriculture de se poser pour planifier. Pourquoi pas vous référer à la méthode SMART (objectifs spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes, temporels) ? Là encore vous avez plusieurs outils à disposition. Le plus commun : l’agenda, mais qui est « souvent mal utilisé », selon Xavier Plisson. Parmi ses conseils : « y cranter vos réunions et rendez-vous, des mémos (informations ponctuelles liées à une journée précise telles que l’absence d’un salarié, une coupure de courant…) et des blocs de temps dédiés à des activités (suivi des cultures, gestion administrative, etc.), sans y inscrire toutes les tâches. »
Il peut être papier mais « l’agenda électronique (Google et Outlook entre autres) permet plus de choses, comme planifier sur du long terme ou partager avec d’autres personnes. On peut modifier sans ratures illisibles et on l’a toujours sur soi », estime-t-il. Xavier Plisson évoque aussi « les outils de gestion de projet comme Notion, disponibles avec synchronisation sur ordinateur et téléphone, et qui contiennent des « To do lists », agendas, etc. avec passage automatique de l’un à l’autre ».
« Testez différentes possibilités pour voir ce qui vous convient le mieux », recommande Benjamin Rolland. « Comme vous êtes le plus souvent sur le terrain, les outils doivent être agiles pour noter tout de suite quand on y pense ou après un appel, le cerveau n’étant pas en mesure de tout stocker. Vous sécuriserez ainsi ce qu’il y a à faire, et pourrez déterminer les priorités pour les jours à venir. » La commande vocale peut être une bonne alternative.
Il invite, en outre, à « bien différencier intentions et objectifs ». Concrètement, « vouloir accroître son rendement est une intention car on ne sait pas de combien, ni comment, ni par rapport à quoi. « Je veux augmenter mon rendement de 10 % pour atteindre les 100 q d’ici deux ans en optimisant ma fertilisation » : là vous transformez votre intention en objectif clair ».
3. Favoriser les relations humaines
Au cœur du sujet : la communication. Or, il y a des règles à respecter pour bien communiquer car il ne s’agit pas seulement de transmettre une information, il faut être capable d’entendre et comprendre ce que l’autre a à vous dire, donc faire preuve d’écoute et d’empathie. Parmi les recommandations : « s’exprimer à la première personne du singulier – le « tu” agresse, accuse, juge et mène forcément à des conflits –, exprimer ses besoins et ses sentiments, être attentif à son état émotionnel et à celui de ses interlocuteurs. »
Attention aux supports de communication qui peuvent engendrer pertes de temps et d’efficacité. De visu, par téléphone, message, mail, via les réseaux sociaux… il importe d’adapter le support à l’information à transmettre et à ses besoins, car le résultat ne sera pas le même.
Quelques trucs et astuces
Benjamin Rolland encourage à mettre en place des routines d’organisation (quotidiennes, hebdomadaires, etc.), comme « démarrer chaque journée avec une liste de choses à faire, puis commencer par la tâche la plus importante ou la plus pénible ». Elles apportent de « la régularité » et une certaine « automatisation » permettant d’être « plus efficient et de trouver du temps pour des opérations nécessitant davantage de concentration ».
Il préconise, par ailleurs, de délimiter les activités et programmer des alarmes (limites de temps), sur smartphone, 30 à 45 min avant l’horaire de fin fixé au préalable. « Simple et très efficace pour clôturer le chantier à l’heure souhaitée car plus vous avez de temps pour l’effectuer, plus il durera », fait-il remarquer. Enfin, réservez les tâches exigeant le plus de concentration quand vous avez le plus d’énergie, celle-ci variant selon les moments de la journée.
Xavier Plisson met en garde : « Tout cela fonctionne si vous êtes capable de prendre du recul et faire des bilans. » C’est-à-dire vous demander : « est-ce que les tâches prévues ont été réalisées, est-ce que les objectifs sont atteints… ». ) Vous saurez si votre organisation est optimale et si non, vous pourrez comprendre pourquoi et apporter des correctifs. Les deux coachs exhortent à « planifier l’imprévu », soit « garder une marge de temps libre pour d’éventuels pannes, aléas climatiques, sollicitations extérieures… » Si rien ne se produit, elle sera disponible pour autre chose : prise d’avance dans les travaux, tâches administratives, réflexions stratégiques, repos, loisirs…
« Approfondir son rapport au temps, qui est subjectif, mieux définir priorités, repenser son organisation peut nécessiter un accompagnement individualisé, d’une durée plus ou moins longue, par quelqu’un d’extérieur », suggère Benjamin Rolland qui peut intervenir dans ce domaine. Xavier Plisson, lui, propose un parcours Impact Temps avec « un diagnostic pour identifier les comportements qui perturbent sa gestion et mettre en place une organisation optimisée derrière ».
Et Benjamin Rolland de conclure : la clé est de « se réapproprier votre temps, le maîtriser, pour faire de vrais choix, regagner de la liberté et redevenir pleinement acteur de votre métier ». Ce qui implique de s’accorder des moments de repos et détente. « Dans le monde agricole, on ne s’y autorise pas assez à cause de la culture du travail, de l’effort, et cela pénalise l’efficacité globale de beaucoup d’exploitations. »