Que peut faire la science pour le monde de l’agriculture face au réchauffement climatique ? C’est tout l’enjeu du rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) qui a interrogé neuf scientifiques sur les apports de la science dans le monde agricole.
Particulièrement vulnérable aux perturbations engendrées par le réchauffement climatique, l’agriculture en est également l’une des principales responsables. En France, les émissions de gaz à effet de serre du monde agricole représentent plus de 20 % des émissions françaises totales. Elle participe aussi à la destruction de la biodiversité notamment via la conversion de milieux naturels à des usages agricoles ou de l’utilisation d’intrants qui contaminent les eaux et les sols.
Pour le sénateur écologiste Daniel Salmon, co-auteur du rapport, les nouvelles « connai-sciences » permettent de porter un regard sur « les évolutions potentielles » de l’agriculture dans notre pays. « Nous avons un système agricole qui s’est construit sur des décennies voire un siècle, qui est aujourd’hui verrouillé et où l’innovation a du mal à faire sa place ».
Manipulation olfactive, génomique et génétique animale
Pourtant, la science apporte de nombreuses solutions pour une agriculture plus résiliente. Parmi ces solutions : une manipulation olfactive des paysages afin de limiter les effets non désirables dans l’agriculture tout en protégeant l’environnement. Il est désormais possible d’introduire des « parfums naturels » pour éloigner certains insectes des cultures sans nuire pour autant aux pollinisateurs.
La génomique présente également plusieurs avantages. Elle permet de renforcer la résistance des plantes au changement climatique et aux maladies en modifiant les génomes. Enfin, les scientifiques axent leurs recherches sur la génétique animale. Par ce levier, l’enjeu est de modifier les gènes de bovins, par des croisements d’espèces, afin de les adapter aux modifications climatiques.
Pour ce faire, le rapport préconise une évolution de la réglementation pour « faciliter l’homologation des innovations technologiques respectueuses de l’environnement ».
Taxer les pesticides
« Il y a cependant des obstacles financiers qui constituent un frein à l’innovation », prévient Daniel Salmon. « Les innovations en matière d’alternatives aux pesticides sont trop chères et l’agriculture ne dispose pas de ressources suffisantes pour investir dans les innovations. Les consommateurs ne sont pas prêts à en payer le prix ».
Mais comment inciter les agriculteurs à modifier leurs pratiques ? Les recommandations du rapport dessinent une piste de réflexion avec une modification « des prix relatifs des différents modèles de production » pour limiter les externalités négatives. Autrement dit, l’enjeu ici est de taxer les pesticides et de distribuer les sommes prélevées aux agriculteurs plus vertueux en matière de protection de l’environnement.
Une modification de la PAC
Pour Daniel Salmon, ces incitations doivent être prises au niveau européen : « Il y a aujourd’hui des politiques incitatives. Les mesures de la PAC orientent l’agriculture. Je pense que par ce biais-là, nous pouvons accélérer la transition notamment par une réforme de la PAC (Politique agricole commune). Il ne faut pas que la PAC soit seulement axée sur la production à l’hectare mais plutôt sur des paiements pour services environnementaux. Nous savons que cela peut faire changer les pratiques ».
Lors des discussions, les scientifiques ont pointé la contradiction entre la volonté d’augmenter la production agricole européenne et la préservation de l’environnement. Cinq scénarios pour une future PAC ont été établis. Selon les scientifiques, aucun d’entre eux ne peut « garantir à la fois la protection de l’environnement, l’autosuffisance alimentaire, des revenus convenables pour les agriculteurs et des prix alimentaires bas ».
Les rapporteurs souhaitent passer « d’une logique de subvention à une logique de rémunération de services explicites ». « Il nous faut mieux hiérarchiser les objectifs de la PAC », assure Pierre Henriet, député Horizon et vice-président de l’OPECST. « Mais cela doit se faire sans sacrifier l’objectif de protection de l’environnement ».
« Il y aura des réactions à ce rapport »
« Nous avons vu qu’il y avait des freins à l’innovation dans l’agriculture », constate le député Horizon. « L’objectif de ce rapport est d’émettre des recommandations pour favoriser un écosystème de la recherche dans le domaine de l’agriculture. Il ne faut pas oublier qu’il y a des dizaines d’années, c’est l’arrivée d’outils technologiques qui ont permis de conjurer les effets négatifs ».
Daniel Salmon tempère cependant : « Le techno solutionnisme ne sera pas la seule solution. La science ce n’est pas seulement la technologie, c’est aussi la nature. La science et toutes les sciences doivent nous permettre de trouver des solutions pour demain dans une vision plus positive ».
Le sénateur et le député espèrent que les parlementaires se saisissent du rapport. « Je pense que demain il y aura des réactions à ce rapport », assure Daniel Salmon. « Cela nous permettra d’enclencher des études plus approfondies et de rendre un rapport un peu plus fouillé qui ne se fait pas sur 2 h 30 d’échanges ».