Quand on pense à la science-fiction, nos premières pensées sont généralement pour le ciel étoilé, pour les espaces infinis peuplés de créatures chthoniennes, pour ces exoplanètes sœurs de la Terre, de celles que nous rêvons de découvrir afin que les œufs de l’humanité ne se retrouvent plus dans le même panier. L’avenir de l’humanité serait dans l’espace.
Pourtant, plus proche de nous, sous l’horizon marin, existent des fonds abyssaux dont nous ne savons presque rien. Après tout, les océans de la planète bleue ne sont-ils pas les véritables enjeux de l’avenir de l’humanité ? Nombre d’auteurs et d’autrices vont en ce sens dans ce numéro 15 de Métal Hurlant. On y parle de la surpêche, de la lutte pour le contrôle de la ressource eau, du réchauffement climatique, du patrimoine qui gît dans les fonds marins, voire de la question de l’évolution biologique au contact de ces mondes aquatiques.
© Michaël Sanlaville / Métal Hurlant (2025)
Nombre des courts récits publiés dans cet opus sont réussis, tant graphiquement que scénaristiquement. La nouvelle la plus marquante a été pour nous Mocha – Pêche interdite. Le scénario de Marc Caro aborde intelligemment à la fois l’enjeu existentiel de la surpêche, mais également la question du spécisme à travers l’humanisation graphique de la vie marine qui brouille notre perception. Graphiquement, Cecyle Bay impressionne par la force virtuose de son trait et de ses couleurs, mais aussi par la composition des planches. Un petit bijou d’une rare violence où les tripes remplissent les cases. Âmes sensibles s’abstenir.
On retiendra également Au-delà de l’océan de Valentin Ramon (Espagne) – qui met en scène l’accaparement par des élites économiques de la ressource eau -, La plage de Simeon Van Den Ende et Pim Bos (Pays-Bas) – un récit délirant et glauque en bord de plage -, Megasillon d’Arthur de Pins – la première incursion dans la science-fiction de l’auteur qui joue habilement et non sans humour avec le genre -, Achane d’Edo Brenes (Costa Rica) – une belle histoire sur la disparition des divinités anciennes -, Pour l’humanité de Joseph Falzon (France) – un délire humoristique sur la lutte des classes – ou Le Pêcheur des abysses de Miel Vandepitte (Belgique) – un récit sur l’évolution biologique teinté d’humour. On vous conseille enfin L’océan qui chante de Fabrizio Dori (Italie) et Narcose de Zéphir, deux nouvelles d’une grande poésie graphique et scénaristique.
© Marc Caro & Cecyle Bay / Métal Hurlant (2025)
Dans ce mook de 272 pages, on retrouve comme à chaque numéro des interviews, des analyses et des chroniques. On peut parfois avoir l’impression d’une forme de remplissage afin de pouvoir répondre aux contraintes éditoriales nécessaires à l’obtention des aides publiques auxquelles a droit la presse papier. Néanmoins, après lecture, on se surprend à avoir apprécié chaque rubrique.
Otto Maddox et Jean-Luc Cornette devisent brièvement entre chaque récit sur une sélection de films aquatiques, entre les nanars et les classiques du genre, allant de Le Petit Baigneur (avec Louis de Funès) à Zombie Lake en passant par Piranha de Joe Dante et Dagon de Stuart Gordon, ce dernier étant adapté d’un récit de H.P. Lovecraft. Une belle occasion pour celles et ceux qui ont envie d’expérimenter un cinéma thématique divers et d’une qualité souvent discutable.
© Fabriozio Dori / Métal Hurlant (2025)
On retiendra également une interview du maître Philippe Druillet, et une seconde du militant écologique Paul Watson. À lire également un article sur les coulisses apocalyptiques du tournage de Waterworld, sur Plus Loin, exposition exceptionnelle sur la science-fiction française, et le passionnant L’art de la climate fiction, signé par Jean-Marc Ligny. Enfin, Lloyd Chéry vous conseille des lectures dans Le retour du mange livres, une rubrique historiquement créée par Jean-Pierre Dionnet en 1975.
Les Mondes du silence est donc une réussite grâce à laquelle la revue entretient le mythe et la magie de Métal Hurlant. Il est si agréable de pouvoir découvrir des nouvelles où l’audace graphique et scénaristique sont des ingrédients omniprésents. Cela l’est tout autant d’entrevoir le talent d’artistes non seulement français, mais également internationaux sur un genre précieux, qui prête à la réflexion, celui de la science-fiction. Longue vie à Métal Hurlant !
© Alexandre Ristorcelli / Métal Hurlant (2025)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
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