Les promoteurs du mégaprojet d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) qui pourrait être construit sur la Côte-Nord estiment pouvoir parvenir à une production carboneutre grâce notamment à l’implantation de leur propre parc éolien, a appris Le Devoir. Écologistes et experts rappellent cependant qu’un tel projet sert d’abord à faciliter la mise en marché d’une énergie fossile qui contribue à la crise climatique.
Après avoir révélé la semaine dernière que l’entreprise Marinvest Energy veut construire à Baie-Comeau une usine aussi imposante que le défunt projet GNL Québec, Le Devoir a obtenu des informations qui indiquent que les promoteurs souhaiteraient se doter de leur propre parc éolien afin d’alimenter les installations de traitement du gaz transporté par gazoduc depuis l’Alberta.
Pour le moment, les détails de cet éventuel projet de production d’énergie éolienne restent à préciser. Les besoins dépendront du volume de GNL qui serait produit et exporté par des méthaniers circulant sur le Saint-Laurent. Selon les informations obtenues, il serait question de produire au moins 10 millions de tonnes annuellement, soit un volume équivalent à celui que prévoyait GNL Québec.
Sans s’avancer sur les détails, le chef de l’exploitation de Marinvest Energy Canada, Greg Cano, a confirmé les intentions de l’entreprise. « Oui, c’est le concept : un approvisionnement en énergie à partir de notre propre source d’énergie renouvelable développée, avec un approvisionnement de secours uniquement à partir d’Hydro-Québec », a-t-il résumé par courriel.
M. Cano a aussi indiqué que le projet en est aux premières étapes de planification. Le « mix » énergétique reste donc à préciser, mais il dit « avoir confiance » que l’usine et le terminal maritime pourront fonctionner sans recourir à des énergies fossiles. La semaine dernière, le représentant de Marinvest Energy Canada avait évoqué au Devoir l’idée d’une « production de GNL sans émission de carbone », un argument qui était aussi mis en avant par GNL Québec.
Hydro-Québec n’a pas voulu confirmer si des discussions ont déjà eu lieu avec les promoteurs. « Hydro-Québec ne commente pas les projets qui lui sont soumis », a-t-on indiqué par courriel. Le nom de la société d’État apparaît toutefois dans la liste des « institutions publiques » visées par les démarches des deux lobbyistes inscrits au registre québécois et qui visent à « connaître les conditions applicables pour la mise en place d’un projet énergétique structurant et avantageux pour l’avenir du Québec du Canada ».
Est-ce que le gouvernement est ouvert à fournir de l’énergie pour l’usine de GNL ? « Nous avons toujours dit que si de nouveaux projets sont présentés, nous sommes prêts à les examiner attentivement. C’est ce que nous ferons avec celui-ci. Il est encore trop tôt pour se prononcer. L’acceptabilité sociale demeure une condition essentielle pour tout projet. Aussi, il va falloir qu’il y ait des retombées pour le Québec », a répété le cabinet de la ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Christine Fréchette.
Carboneutralité impossible
Si Marinvest Energy estime pouvoir développer un projet carboneutre, c’est parce que l’entreprise exclut de son calcul les émissions de gaz à effet de serre (GES) imputables à la production gazière, principalement par fracturation, mais aussi au transport et à l’utilisation de cette ressource fossile, affirment les experts consultés par Le Devoir.
« Marinvest reprend les mêmes arguments d’électrification des procédés que ceux invoqués par GNL Québec pour faire valoir son projet », souligne Johanne Whitmore, chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal. « La crise climatique étant un enjeu global, il est essentiel d’évaluer les émissions de GES sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, et non uniquement sur une de ses composantes. C’est précisément cette approche partielle qui avait mené au rejet du projet de GNL Québec. »
Plus de 80 % des émissions de GES liées au gaz naturel surviennent au point de consommation, et environ 15 % lors de la production, selon les données disponibles. Ce sont donc au moins 95 % des émissions qui échapperaient aux calculs de Marinvest Energy. « La carboneutralité se limiterait à l’énergie utilisée pour liquéfier le gaz naturel. Tout le reste n’est pas carboneutre », résume d’ailleurs Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal.
Même son de cloche du côté d’Éric Pineault, membre de l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM, qui déplore l’idée qu’Hydro-Québec fournisse de l’énergie à l’usine de GNL. « Cet argument de la carboneutralité sert d’abord à faire accepter le projet au Québec. Mais dans les faits, on prendrait de l’énergie propre pour faire de l’énergie sale. Cette énergie doit être disponible en priorité pour contribuer à la décarbonation du Québec, par exemple dans le secteur industriel. »
À titre de comparaison, le bloc énergétique demandé par GNL Québec s’élevait à 550 mégawatts (MW), ce qui représentait environ le double de la capacité de la centrale hydroélectrique Romaine-1 (270 MW). Dans son Rapport d’analyse environnementale sur le projet de liquéfaction de gaz naturel au Saguenay, le ministère de l’Environnement du Québec avait souligné que « l’attribution du bloc d’hydroélectricité de 550 MW requis pour les besoins énergétiques du complexe de liquéfaction afin de réduire l’émission de GES devrait être remise en question. N’étant plus en situation de surplus d’électricité, ce bloc d’énergie propre ne serait plus disponible, advenant l’autorisation du projet, pour des projets répondants à des besoins plus stratégiques pour l’atteinte de ces cibles de réductions ».
« Je ne peux pas croire qu’on en soit encore là en 2025, à devoir, une nouvelle fois, contrer les arguments fallacieux d’une compagnie dont le projet ne vise qu’une chose : augmenter la production de gaz fossile », dénonce Anne-Céline Guyon, analyste climat et énergie à Nature Québec.
« Rappelons les faits établis par le BAPE en 2021 au sujet du défunt projet GNL Québec : l’exploitation du gaz fossile ne permettrait pas de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre, contrairement à ce qu’en disaient ses promoteurs. Quatre ans plus tard, ce constat reste le même, peu importe le nom du projet ou ceux qui le portent », fait valoir Charles-Édouard Têtu, analyste en politiques climatiques et énergétiques chez Équiterre.
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