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Combiner agriculture et production d’électricité solaire sur une même parcelle, c’est la promesse de l’agrivoltaïsme. Portée par la transition énergétique, cette technologie suscite un intérêt croissant, alors même que son encadrement légal fait encore débat à l’Assemblée nationale. Si ses atouts séduisent investisseurs, agriculteurs et collectivités, sa croissance annoncée soulève aussi de vives interrogations, notamment sur sa capacité à soutenir les rendements agricoles et à garantir un partage de la valeur équitable entre les acteurs. Mais les premiers retours d’expérience sont encourageants : génératrices d’ombre, les installations pourraient aider les cultures à lutter contre le réchauffement climatique.
Depuis les accords de Paris, la France cherche à sortir progressivement des énergies fossiles, qui représentent encore près des deux tiers de la consommation énergétique. C’est là que l’agriculture et l’agrivoltaïsme pourraient avoir leur rôle à jouer. L’électricité française, bien que fortement décarbonée grâce au nucléaire, ne représente en effet qu’environ 40 % de l’énergie finale consommée. “Avec la tendance à l’électrification des usages (mobilité, industrie, chauffage…), la demande d’électricité devrait augmenter de 50 %, même si la consommation énergétique totale pourrait baisser de 30 %”, souligne Olivier Dauger, élu référent climat énergie carbone à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Dans ce contexte, il devient nécessaire d’assurer un mix énergétique en diversifiant les sources : nucléaire, éolien, photovoltaïque. Or pour installer du photovoltaïque, il faut de l’espace. Si les toitures ou les friches industrielles peuvent être utilisées, leur potentiel est limité et coûteux. C’est dans ce contexte qu’il devient tentant de mobiliser les terres agricoles.
“Faire cohabiter la photosynthèse et la production photovoltaïque, c’est techniquement possible, à condition de respecter des équilibres précis.”
Une démarche qui ne va pas sans susciter certaines tensions, le changement climatique rendant l’espace cultivable de plus en plus précieux. “La promesse de l’agrivoltaïsme, c’est justement la réconciliation de la production d’énergie et de l’agriculture. Faire cohabiter la photosynthèse et la production photovoltaïque, c’est techniquement possible, à condition de respecter des équilibres précis. Il s’agit de valoriser les terres en optimisant leur usage multiple. De quoi répondre à une double exigence de souveraineté, énergétique et alimentaire”, souligne Olivier Dauger.
L’agrivoltaïsme a pour la première fois été défini par l’article 54 de la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (loi Aper). “Il s’agit d’une installation de production d’électricité utilisant l’énergie du soleil, et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole”, rappelle Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables.
Loi décentralisée en discussion
La promesse de l’agrivoltaïsme est alléchante : il protège les plantations des aléas climatiques comme la sécheresse ou la grêle, tout en générant de l’électricité décarbonée. “En optimisant l’usage des terres, l’agrivoltaïsme répond aux enjeux de transition énergétique sans concurrencer l’agriculture”, résume Jules Nyssen.
“Les cultures, les climats, les expositions varient : il faut ajuster la technologie aux spécificités locales, à la nature des sols, aux usages agricoles”
C’est dans cette perspective que s’inscrit la proposition de loi, actuellement débattue, pour développer l’agrivoltaïsme. Dans l’objectif de clarifier le cadre légal, elle comporte trois volets : la taille des projets, en mégawatts-crête (MWc) ; l’organisation du partage de la valeur créée entre les acteurs ; l’adaptation des projets aux réalités agricoles locales, avec l’implication des chambres d’agriculture. La loi a ainsi été décentralisée. “Les choix de technologie, de pourcentage de panneaux, de surface sont départementalisés. Car ce qui est pertinent dans le sud de la France, où l’on peut envisager une couverture allant jusqu’à 35 % ou 40 %, ne l’est pas nécessairement dans les régions du nord, où il convient de ne pas dépasser 25 % à 30 %. Les cultures, les climats, les expositions varient : il faut ajuster la technologie aux spécificités locales, à la nature des sols, aux usages agricoles”, précise Olivier Dauger.
La loi envisage de limiter les projets à 10 MWc pour être reconnus comme agrivoltaïques. Une limite jugée restrictive par certains acteurs du secteur. “Elle est trop petite pour générer suffisamment de valeur à partager avec plusieurs agriculteurs. Limiter les potentielles économies d’échelle augmente le coût de production de l’électricité”, estime Mattias Vandenbulcke, délégué général adjoint de France renouvelables, anciennement France énergie éolienne. L’association recommande un seuil minimum de 30 MWc pour atteindre une rentabilité et un partage plus justes. “Les projets devraient bénéficier à plusieurs agriculteurs, c’est-à-dire sur plusieurs exploitations, via une approche pluri-parcellaire et collective”, ajoute-t-il.
Pour un juste partage de valeur
Dans ce cadre, les acteurs du secteur demandent une certaine souplesse réglementaire, de façon à donner plus de latitude à l’ingénierie des projets. C’est le cas du Syndicat des énergies renouvelables. “Si la proposition de loi intègre un plafond de puissance restrictif par exploitation agricole, cela risque d’obérer le développement de cette filière car le design des installations doit pouvoir s’adapter à la diversité agricole que l’on connaît”, souligne ainsi Jules Nyssen. À l’inverse, Thibaut Bustos, responsable agrivoltaïsme chez Tenergie, met en garde contre des projets de trop grande envergure (100 mégawatts et plus) qui ne permettent pas la mutualisation entre plusieurs exploitations. “Des projets de taille moyenne, couvrant par exemple 25 à 30 hectares pour 15 à 20 MWc, permettent de favoriser une répartition plus équitable des bénéfices au sein d’un territoire”, souligne-t-il.
Ce partage de la valeur implique une pluralité d’acteurs dont les intérêts divergent parfois : développeur, propriétaire foncier, exploitant agricole, mais aussi collectivités locales.
Ce partage de la valeur implique en tout état de cause une pluralité d’acteurs dont les intérêts divergent parfois : développeur, propriétaire foncier, exploitant agricole, mais aussi collectivités locales. “Le foncier peut appartenir à des propriétaires qui ne sont pas exploitants, et les agriculteurs cultivent alors des terres qui ne leur appartiennent pas”, rappelle Thibault Bustos. Les développeurs de projets photovoltaïques versent alors un loyer à l’un comme à l’autre.
Freiner la spéculation
Mais les excès sont encadrés. “La loi Aper impose le maintien d’une activité agricole, et les baux prévoient des conditions précises en ce sens pour justifier le versement des loyers”, précise Thibault Bustos, pour qui le texte a bien répondu au risque de spéculation. C’est d’autant plus important que “des baux emphytéotiques mal encadrés, ou une concurrence accrue entre énergéticiens pour accéder à ces terres, pourraient générer une inflation et, in fine, freiner l’installation de jeunes agriculteurs”, pointe Mattias Vandenbulcke.
Au-delà de cette régulation, le partage de la valeur s’étend aussi aux territoires. “Un projet d’énergie renouvelable sur un territoire, via les taxes, peut être une source de revenus très importante pour une commune”, fait valoir Thibaut Bustos. Certaines entreprises, comme Tenergie, vont plus loin en ouvrant le capital de leurs projets aux collectivités locales. “L’idée est d’associer les élus, les habitants, les propriétaires, l’exploitant, ainsi que des développeurs d’énergie locale, autour d’un véritable projet collectif, bénéfique pour tous.”
Préserver la vocation agricole des terres
Pour garantir que l’activité de production d’énergie ne l’emporte pas sur la vocation agricole des terres, le cadre réglementaire énonce deux conditions strictes (lire en encadré). D’abord, la production agricole doit être significative. “La moyenne du rendement par hectare observé sur la parcelle agricole où est située l’installation agrivoltaïque doit obligatoirement être supérieure à 90 % de la moyenne du rendement par hectare observé à partir d’une zone témoin ou d’un référentiel pris pour comparaison au niveau local”, explique Jules Nyssen. Ensuite, l’installation doit générer un revenu durable : “la moyenne des revenus issus de la vente des productions végétales et animales de l’exploitation agricole après l’implantation de l’installation agrivoltaïque ne doit pas être inférieure à la moyenne des revenus avant l’implantation”.
Si le domaine est encore récent, quelques retours d’expérience existent déjà et témoignent des bénéfices apportés par l’agrivoltaïsme. Par exemple, l’ombre créée par les panneaux photovoltaïques a des effets bénéfiques sur certaines cultures, notamment sur les prairies utilisées pour l’élevage. “L’ombre aide à réduire le stress hydrique des plantes en limitant leur évapotranspiration, ce qui signifie qu’elles consomment moins d’eau. L’agrivoltaïsme est particulièrement intéressant face aux aléas climatiques croissants comme la sécheresse, le gel ou encore l’excès d’eau”, explique Thibaut Bustos. Les panneaux, en apportant de l’ombrage, peuvent ainsi soutenir l’agriculture en atténuant ces impacts. “Par exemple, un projet expérimental sur le sarrasin a montré que les récoltes sont meilleures sous panneaux qu’en zone non couverte”, assure-t-il.
Nejiba Belkadi
L’instruction ministérielle du 18 février 2025 était très attendue par les acteurs de la filière. Le cadre juridique étant récent et très dense, l’application de certaines dispositions devait ainsi être explicitée. L’application des dispositions encadrant l’instruction du dossier – en particulier la manière dont est rendu l’avis de conformité de la commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers – et la définition de l’activité principale, pour s’assurer que l’activité agricole reste bien l’activité dominante sur la parcelle concernée, ont été précisées. “Des précisions très utiles ont également été apportées sur le calcul du taux d’occupation surfacique, sur la superficie qui n’est plus exploitable, et sur la production agricole significative”, explique Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables. À noter qu’une installation est jugée “significative” si elle continue, après plusieurs décennies, à produire assez d’électricité pour ne pas demeurer inutilement sur une terre agricole.
Un dispositif rigoureux de contrôle et de sanction encadre également les installations. Il repose sur des rapports réguliers, notamment à la mise en service, puis six ans après l’achèvement des travaux. D’autre part, les préfets peuvent diligenter des visites inopinées durant les six premières années, et les ouvrages photovoltaïques ou PV compatibles doivent être réversibles. “Des opérations de démantèlement et de remise en état sont donc attendues au terme de la durée d’autorisation, c’est-à-dire au maximum quarante ans, avec possibilité de la proroger de dix ans si l’installation présente encore un rendement significatif”, précise la Banque des territoires. Si le démantèlement n’est pas effectué dans le délai prévu, l’État peut intervenir d’office, mobiliser les garanties financières prévues et répercuter sur le propriétaire du terrain les éventuels surcoûts. “La filière espère que la publication de ce guide d’application permettra une instruction plus fluide des dossiers par les services instructeurs”, souligne Jules Nyssen.
Fruit d’une initiative réunissant 35 exploitations agricoles sur un territoire de 1 200 hectares dans les Landes, le projet Terr’Arbouts illustre la manière dont l’agrivoltaïsme peut être le moteur d’une démarche globale en faveur de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement.
Le projet prendra la forme de 46 îlots agricoles pour une surface cumulée de 700 hectares, et une mise en service à l’horizon 2027. La phase préparatoire est en cours (design, raccordement au réseau électrique). “Un système de loyers et d’indemnités a été mis en place pour que tous les agriculteurs, qu’ils aient des panneaux ou non, bénéficient équitablement du projet”, souligne David Portales, cofondateur de Green Lighthouse Développement, l’un des porteurs du projet.
C’est justement cette source financière qui donne aux agriculteurs la marge d’action pour aborder le volet environnemental du projet : adapter leurs pratiques aux objectifs du “zéro phyto”, et protéger la qualité de l’eau potable dans la région de Mont-de-Marsan. “Les agriculteurs, principalement des maïsiculteurs, ont été sollicités par les autorités pour faire évoluer leurs pratiques agricoles sur une décennie, en passant à une agriculture raisonnée, voire biologique, et surtout en s’engageant à éliminer complètement les phytosanitaires”, explique David Portales.
Cette démarche d’ampleur a impliqué une large coopération entre agriculteurs, élus locaux, agences de l’eau, département, région, et divers acteurs du territoire. Quant à son développement, il a demandé environ cinq ans d’études approfondies. Un démonstrateur agricole est déjà en place, testant les interactions entre cultures et panneaux et préparant les agriculteurs au changement.
Terr’Arbouts entend préserver et générer, sur une quarantaine d’années, plusieurs centaines d’emplois directs et indirects, tant agricoles que dans la construction et l’exploitation des installations. Le projet s’inscrit dans une dynamique plus large de diversification agricole et de développement économique local, avec l’espoir d’émergence de nouvelles filières et activités liées à cette innovation.
– la rentabilité des exploitations (75 %)
– les risques climatiques et les problèmes d’accès à l’eau (52 %)
– les contraintes réglementaires (42 %)
Ces inquiétudes sont identifiées dans les mêmes proportions par les Français non agriculteurs interrogés.