Après plusieurs années moroses marquées par la crise sanitaire et la flambée des coûts de production, 2024 s’est plutôt avéré un bon cru pour l’agriculture bretonne. La collecte de lait a augmenté de 1,9 % par rapport à celle de 2023, le volume d’abattages de porcs, de 2 %. Toutefois, ce rebond ne suffit pas à rattraper les niveaux de 2019 (de -3,5 à -7 %, selon les filières d’élevage), indique la Chambre d’agriculture de Bretagne, dans son dernier rapport ABC.
Pas question, donc, de se reposer sur ses lauriers. Et ce, même si les revenus agricoles sont bien orientés avec des cotations record en viande bovine, un prix du lait à 468 euros les 1 000 litres et des œufs vendus 12 % plus cher que la moyenne des trois années précédentes. Car, oui, le coût de l’alimentation animale a reculé de 11 % en un an et celui des charges a fini par se stabiliser. Mais tous les indicateurs ne sont pas bons, loin s’en faut.
Le bio décroche
« La décapitalisation du cheptel laitier se poursuit (- 2,7 %, l’an dernier), les surfaces de légumes destinés à la transformation diminuent de 10 % dans le Grand Ouest et les filières qualité sont en difficulté : l’an dernier, les dépenses des Français ont reculé de 17,9 % dans le bio et de 15,2 % dans le Label Rouge. L’assortiment bio en grandes surfaces a reculé de 25 % en trois ans. Nous sommes passés de 204 installations bio aidées, en 2021, à 136, en 2024 », relève Jean-Alain Divanac’h, éleveur à Plonévez-Porzay (29) et président de la Chambre d’agriculture du Finistère.
Laurent Kerlir, président de la Chambre d’agriculture de Bretagne, salue la réactivité et la résilience de l’agriculture bretonne : depuis 2020, l’emploi agricole global et le nombre de jeunes formés en production augmentent, observe-t-il. Mais cela reflète aussi les mutations du secteur avec des exploitations plus grandes, plus dispersées, et moins de transmissions familiales. « Complexité des démarches administratives, charge mentale, projets d’agrandissement ou de modernisation contrecarrés par des collectifs d’opposants… Nos cellules Réagir ont accompagné 30 % d’agriculteurs de plus en 2024 qu’en 2023 », met-il en exergue.
Les bâtiments, en lait, ont 30 ans d’âge en moyenne, 50 ans en volaille. « Or, sans investissement pour moderniser les outils, pas de meilleures conditions de travail, de bien-être animal ni, à terme, de transmission des exploitations », souligne-t-il.
La géopolitique en toile de fond
Parmi les points de vigilance, il y a les risques d’épizooties toujours présents, la descente en gamme des consommateurs qui fragilise les industries agroalimentaires et accroît la dépendance aux importations. Il y a, aussi, les fortes perturbations géopolitiques. Pour l’heure, la balance commerciale bretonne (5,5 milliards d’euros exportés dont 55 % dans l’Union européenne) est positive, de 22 %, à rebours des données nationales. Mais la Bretagne, qui représente 55 % des exportations de porcs vers la Chine, aurait beaucoup à perdre si Pékin décidait de surtaxer cette viande, pour répliquer aux pénalités imposées à ses ventes en Europe de voitures électriques. De même, les producteurs d’échalotes et les fabricants de soupes de légumes bretons pourraient pâtir des mesures de protectionnisme de Donald Trump. Selon les projections, les accords de libre-échange auraient pour effet, de leur côté, d’accroître de 22 à 24 % les importations de viande bovine en France, et de 23 à 30 % celles de volaille – un secteur clé pour la Bretagne.
« Notre inquiétude, c’est aussi de savoir ce que pèsera le budget agricole, face aux besoins d’une Europe de la défense », s’interroge Laurent Kerlir. « Pour bénéficier des arbitrages de la future PAC, la Bretagne et le système de polyculture-élevage qu’elle forme avec la Normandie et les Pays-de-la-Loire voisins devront faire entendre leur voix. »