Une entrepreneuse en robe traditionnelle à la tête d’une fintech ? « Pourquoi pas ? » s’amuse Nelly Chatue-Diop. À 41 ans, cette Camerounaise bouscule les codes de la finance avec Ejara, une start-up qui démocratise l’accès aux actifs numériques en Afrique francophone. Son ambition : redonner aux Africains le contrôle de leur argent grâce à la blockchain.
Née à Douala, elle grandit dans une famille où filles et garçons sont poussés à viser haut. Passionnée de mathématiques, elle étudie en France l’ingénierie informatique avant d’intégrer la finance. La crise des subprimes agit comme un électrochoc : « Je ne voulais pas juste manipuler des chiffres mais avoir un impact réel. »
« On avance méthodiquement »
Après des expériences chez McDonald’s, Franprix ou Betclic, elle découvre la blockchain et perçoit son potentiel pour l’Afrique. Dans ce milieu, « j’étais souvent la seule femme, à plus forte raison africaine. Beaucoup ne comprenaient pas ce que je faisais là ». Curieuse et déterminée, elle se forme en autodidacte, expérimente le minage et donne des formations. Mais elle voit aussi les risques : « Sans structure, la blockchain risque d’être perçue comme une technologie criminelle en Afrique. »
En 2020, elle fonde Ejara avec deux associés – e, pour e-commerce, et jara, lion en bambara (une des langues du Mali), un animal symbole de force et protection. Au-delà des cryptomonnaies, la start-up ouvre l’accès à l’épargne en bons du Trésor, aux paiements pour les commerçants et innove avec des solutions de micro-assurance et de crédit.
À LIRE AUSSI Comment les entrepreneurs de la cryptomonnaie sont devenus la cible des malfaiteursCinq ans plus tard, plus de 250 000 utilisateurs adoptent ses services. En 2021, Ejara lève 2 millions de dollars en seed round, puis 8 millions en série A en 2022. « Beaucoup échouent en brûlant leur cash trop vite. Nous, on avance méthodiquement », affirme-t-elle.
Dirigeante affirmée, elle revendique une différence de méthodes : « Certaines start-up dirigées par des hommes vont plus vite et prennent plus de risques. Moi, je dirige avec ma féminité. Je n’ai pas besoin de me transformer en homme pour réussir. »
Structurer l’écosystème africain
En 2024, Ejara s’associe à MoneyGram, permettant aux Africains de convertir leurs francs CFA en dollars numériques et de les retirer en espèces dans 180 pays. Parallèlement, l’entrepreneuse ouvre un bureau à Bordeaux, visant une expansion internationale. « Nos solutions sont universelles. Mais, en Europe, nous devons affiner notre positionnement. »
Loin de se contenter du succès de son entreprise, elle œuvre aussi pour structurer l’écosystème africain. En 2023, elle crée la Cameroon FinTech Association, qui passe rapidement de 30 à 80 membres. Son but : donner plus de visibilité aux start-up africaines. « Être le seul gratte-ciel dans une ville de maisons en bois ne m’intéresse pas. Je veux voir émerger tout une skyline de fintechs africaines. »
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Pour elle, la bataille est aussi mentale. « On nous fait croire que l’innovation appartient aux Américains. Mais regardez DeepSeek : les Chinois ont prouvé qu’on peut développer l’IA avec 100 fois moins de moyens que la Silicon Valley. Alors pourquoi pas nous ? »
Mère de deux garçons, dont l’aîné épargne chaque semaine une partie de son argent de poche, Nelly Chatue-Diop voit les cinq prochaines années comme un tournant. « Renforcer nos infrastructures, muscler notre cybersécurité, atteindre une masse critique », martèle-t-elle, bien décidée à hisser une fintech africaine au sommet de la finance mondiale.